• Le combat du Liban : pour qui, pourquoi ?; Henri Conchon, editeur –imprimeur :

    -L’armee libanaise etait restee neutre jusqu'au debut de 1976. Elle n’a pu echapper a l’eclatement, encore que beaucoup d’unites maintiennent la fraternisation des chretiens et des musulmans.

    -En automne 1969, la situation s’etait tellement degradee que le Liban n’avait plus de choix qu’entre se resoudre au pourrissement ou sevir avec efficacite contre les Fedayin en employant toute la force necessaire pour defendre sa propre existence.
    Theoriquement, le second choix etait possible, car l’armee libanaise en avait largement les moyens. Si la decision avait ete prise, l’affrontement inevitable n’aurait fait qu’un nombre limite de victimes.

    -Le 18 decembre 1975, des musulmans sont arrives armes au poste de gendarmerie de Nabha, dans la Bekaa Nord, et ont exige que le Raib aille a Beyrouth avec l’un d’entre eux pour savoir ce qui s’est passe au juste au quartier ou vivent les Amhez.
    A peine de Raib parti, les arrivants ont descendu le drapeau et exige les armes du poste.

    -Le 14 janvier 1976, des troupes furent envoyees a Damour pour empecher l’infiltration d’elements armes. Mais en vain. Elles ne firent rien. Les soldats desobeissaient aux ordres de leur chef. Au bout d’une semaine, voyant les soldats fuir, les gens ont suivi… C’est ainsi que l’exil commenca sans que personne ait pu revenir chez soi.

    -Le mercredi 21 janvier 1976, a Baalbeck, l’armee libanaise se bat contre les musulmans. Ils veulent lui prendre les armes, comme ils ont pris celles de la gendarmerie.

    -Le jeudi 22 janvier 1976, les musulmans, avec les canons voles a l’armee libanaise, bombardent Deir el-Ahmar depuis Maqueh.

    -Les musulmans ont des canons et les doutchka, et les mitrailleuses volees a l’armee libanaise.

    -Le matin du 2 avril 1976, quelques membres de l’armee libanaise vinrent nous demander d’abandonner l’institut pour handicapes Kortbawi, car une nouvelle attaque se preparait. Sou un feu nourri, et grace au courage des membres de l’armee libanaise, nous pumes arriver au college de Notre Dame de Jamhour.

    -Le dimanche 18 janvier 1976, plusieurs elements armes en uniforme militaire libanais et utilisant des vehicules et des jeeps de l’armee libanaise, penetrent dans le village de Deir Janine, au Liban Nord, a midi et demi. Ils surprennent les habitants inoffensifs, executent en place publique deux pretres du Couvent de Saint Georges, tuent a tort et a travers toute personne qu’ils rencontrent en chemin, pillent puis incendient les maison du village. Bilan : 12 morts, 7 blesses, 16 maisons entierement detruites, 20 maisons partiellement detruites, vol de tout ce qui peut etre emporte.

    -Lors du declenchement des hostilites contre Kobeyat, en janvier 1976, les militaires disperses dans les differentes casernes du pays, se sont regroupes a Jounieh et ont voulu reintegrer leur village pour le defendre contre les agresseurs. Mais les nombreuses barricades musulmanes armees installees entre Tripoli et le Akkar firent obstacle a l’avance de ces elements vers leur village. Ceci aura, surtout lors de la derniere attaque contre Kobeyat (25 mai 1976) des consequences importantes. En effet, ces jeunes qui apprenaient avec frayeur les nouvelles de massacres collectifs, parmi les leurs, ne purent par moments se controler et envahirent certains villages musulmans du caza de Batroun sans toutefois proceder a aucun massacre individuel ou collectif ni a aucun vol ou pillage.

    -Le 19 janvier 1976, vers 13h30, le village de Hoche Barada, dans la Bekaa, fut l’objet d’une vive attaque menee d’abord contre une quinzaine de militaires charges de la securite. Le lieutenant responsable de la troupe fut immediatement tue, ainsi que deux de ses soldats (tous chretiens). Quelques soldats musulmans s’emparerent alors des vehicules et commencerent une attaque generalisee contre les civils. Les agresseurs etaient des musulmans de la region environnante, soutenus par des elements palestiniens.

    -Les agressions contre les militaires chretiens se situent presque toutes au cours du mois de fevrier 1976. La scission definitive de l’armee libanaise en mars 1976 n’est que la resultante de ces donnees et le but a atteindre a travers toutes ces agressions.
    Les agressions contre les militaires chretiens restent assez inconnues. Nous en citons ici quelques exemples :
    1)Dans un communique, le Groupement Kesrouanais attire l’attention sur l’enlevement et la detention de militaires chretiens au camp palestinien de Baddawi (au Nord de Tripoli). On avait en effet retrouve la veille (2 fevrier 1976) un jeune reserviste chretien assassine a Tripoli.
    2)Le 6 fevrier 1976, un barrage arme a proximite de Arsal (Bekaa) execute deux militaires chretiens de Kaa qui etaient de passage.
    3)Le 17 fevrier 1976, le lieutenant Naoum a ete libere apres une longue detention durant laquelle il a subi interrogatoires et tortures de toutes sortes. Il affirme que 7 de ses soldats sont encore detenus et maltraites.
    4)Le 23 fevrier 1976, 5 militaires chretiens ont ete retrouves assassines aux environs de la ville de Zahle (Bekaa).
    5)Vers la mi –fevrier 1976, 11 militaires chretiens de Kobeyat (Akkar) rentrant chez eux pour le week-end furent arretes et executes en groupe.
    6)Le 21 fevrier 1976, un adjudant chretien de l’armee libanaise a ete enleve et sa jeep volee.
    7)Une nouvelle du 3 mars 1976 mentionne l’enlevement, quelques jours plus tot, du lieutenant Joseph Abou Faycal a Nabatiyeh (ville musulmane du Liban Sud).
    8)Dans la premiere semaine du mois de mars 1976, une serie de crimes est commise a l’interieur des casernes de l’armee libanaise. La presse n’en souffle mot, mais nous avons appris de source sure que plusieurs militaires chretiens ont ete assassines lors de ces attaques confessionnelles barbares ; dans les casernes de Araman, de Kobbe (Tripoli), de Baalbeck, de l’Emir Bechir (Beyrouth), de Fakhreddine (Beyrouth).
    Par suite de cette flambee de violence, l’armee libanaise, qui etait restee unie jusque la, se desagrege et se disperse.

    -Dimanche 6 avril 1975 : L’armee prise a partie par les progressistes a Saida apres la mort de Maarouf Saad. 4 journees d’affrontements. Les vehicules militaires attaques par des elements armes.

    -Jeudi 10 avril 1975 : Manifestation d’appui de la droite a l’armee. Les progressistes exasperes, accusent la grande muette de soutenir l’autre camp.

    -Jeudi 15 mai 1975 : Formation d’un gouvernement de militaires preside par Noureddine Rifai.

    -Lundi 1er septembre 1975 : L’armee prend position entre les forces antagonistes dans la Bekaa et au Liban Nord.

    -Mardi 9 decembre 1975 : Les combats font rage dans le centre-ville, en depit de l’intervention de l’armee.

    -Mardi 23 decembre 1975 : Regain de tension a Beyrouth, desertee par les FSI.

    -Lundi 5 janvier 1976 : Chamoun reclame une fois de plus l’intervention de l’armee.

    -Mardi 27 janvier 1976 : *Le camp de Dbaye remis aux FSI.
                                            *L’escorte de Khaddam attaquee a son retour de Masnaa par des deserteurs de l’armee ayant a leur tete le lieutenant Ahmad Khatib : 2 tues.

    -Mercredi 28 janvier 1976 : L’armee contrôle le centre commercial et le secteur des grands hotels.

    -Jeudi 29 janvier 1976 : Appel de Karame aux soldats qui ont abandonne leurs postes.

    -Mardi 3 fevrier 1976 : L’armee a Dbaye, Mkalles et Damour.

    -Vendredi 6 fevrier 1976 : Officiel : 850 militaires ont deserte leurs unites au cours des derniers evenements.

    -Jeudi 11 mars 1976 : Coup de force du brigadier general Aziz Ahdab, qui proclame l’etat d’urgence, reclame la demission du president de la Republique et invite l’Assemblee a elire un nouveau chef de l’Etat dans les 7 jours.

    -Vendredi 12 mars 1976 : *La situation sur le terrain se deteriore : trois nouvelles casernes se rallient au lieutenant Ahmad Khatib. Accrochages a Beyrouth dans le secteur des grands hotels. Bataille de blindes au Liban Nord : 20 tues, 100 blesses.
                                                  *Le commandement de l’armee exige qu’il soit donne suite dans les 48h aux trois exigences suivantes : formation d’un nouveau gouvernement ; amnistie des militaires insurges ; poursuite de la collaboration avec la Syrie et la Resistance palestinienne.

    -Dimanche 14 mars 1976 : Le Grand Serail occupe par les hommes du lieutenant Khatib. 11 tues, 17 blesses dans les affrontements a Beyrouth.

    -Mercredi 17 mars 1976 : Combats acharnes autour de Kobeyat (Nord) : 11 soldats originaires du village perissent dans une embuscade.

    -Jeudi 18 mars 1976 : Ahdab s’en remet a Damas pour denouer la crise.

    -Dimanche 21 mars 1976 : Le brigadier Ahdab presse les politiciens de trancher.

    -Mercredi 7 avril 1976 : La Surete Generale brule ses archives de crainte qu’elles ne tombent aux mains de certaines organisations.

    -Vendredi 9 avril 1976 : Deux detachements de l’armee syrienne occupent le poste frontalier de Masnaa et trois positions de l’ALA dans la Bekaa.

    -Lundi 19 avril 1976 : Les batiments de la Surete Generale ravages par un incendie. Bilan des combats : 50 tues, 90 blesses ; decouverte de 95 cadavres a Beyrouth.

    -Vendredi 7 mai 1976 : Kadhafi incite a la revolution les forces nationales libanaises qu’il invite a rallier l’ALA du lieutenant deserteur Ahmad Khatib.

    -Mardi 11 mai 1976 : Les progressistes assouplissent leur position : ils preconisent la reconstitution de l’armee sur une base non confessionnelle, et une table ronde.

    -Vendredi 21 mai 1976 : Le brigadier general Aziz Ahdab renonce a toutes ses fonctions militaires.

    -Vendredi 28 mai 1976 : Sur le terrain, c’est de nouveau l’escalade militaire : 81 tues, 141 blesses ; decouverte de 28 cadavres a Beyrouth. L’AIB bombarde : 45 obus tires par l’Armee du Liban causent d’importants degats aux batiments de l’aerogare. Le radar de la tour de contrôle mis hors d’usage.

    -Samedi 29 mai 1976 : Tous les fronts s’embrasent : 190 maisons detruites ou endommagees a Kobeyat et Andaket, villages chretiens du Akkar, a la suite d’un bombardement sauvage que Joumblatt et Abou Ayad (Fath) reprouvent et qui a ete perpetre par l’ALA.

    -Dimanche 15 aout 1976 : Tension a Saida a la suite de l’eviction du major Ahmed Boutari : ayant tente d’occuper la caserne Zogheib, celui-ci est arrete avec le lieutenant Sami Abdallah.

    -Dimanche 22 aout 1976 : Kfarchima proclamee zone militaire.

    -Samedi 9 octobre 1976 : Les miliciens conservateurs incendient la caserne de Nabatiyeh et bombardent la caserne de Marjeyoun.

    -Mardi 12 octobre 1976 : Le general Ghoneim, commandant de la force de paix arabe au Liban, menace de retirer les Casques Verts si les combats se poursuivent.


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  • Histoire de la guerre du Liban ; Perspectives internationales ; PUF :

    -On ne peut pas nous enlever nos droits parce que certains ont peur et que d’autres sont impuissants. (Général Michel Aoun ; 4 novembre 1989).

    -Des accrochages de plus en plus fréquents et de plus en plus violents opposent l’armée libanaise à la résistance palestinienne ai cours de l’année 1969.

    -Le 28 janvier et les 7 et 8 avril 1970, seront signes les textes d’application de l’accord du Caire entre le Deuxième Bureau de l’armée libanaise et l’OLP. L’accord ne mettra fin ni aux exactions de l’OLP en territoire libanais, ni aux accrochages tels que ceux qui eurent lieu du 18 au 31 mars 1970 au cours desquels interviendront des miliciens phalangistes aux cotes de l’armée.

    -Des le début de la guerre, et parce qu’une partie de la population libanaise fait délibérément le jeu de l’ennemi, les institutions sont paralysées et l’armée éclate.

    -Le 23 mai 1975, un gouvernement militaire se constitue mais, sous les critiques des musulmans sunnites, démissionne 3 jours après.

    -Le 25 novembre 1975, Rachid Karamé fait un constat d’impuissance devant le Parlement et prétend ne pas pouvoir faire intervenir l’armée qui est divisée. Suite aux bombardements, par deux avions Hawker Hunter de l’armée, des palestiniens et des islamo-progressistes qui assiègent Damour, Rachid Karamé démissionne le 18 janvier 1976 pour manifester son désaccord.

    -L’armée libanaise, forte de 15000 hommes en 1975-1976, subit le même sort que les institutions politiques. Soit elle n’intervient pas dans les événements et elle est paralysée, soit elle intervient et elle est divisée. Le fait que l’armée regroupe des éléments de confessions différentes contribue soit à la rendre inutile soit à la faire éclater. Ainsi, des la fin du mois de janvier 1976, le lieutenant Ahmed Khatib entre en rébellion contre l’armée libanaise et fonde l’ALA. Le lieutenant Khatib, sunnite pro-palestinien, détourne une part importante de matériel militaire et est suivi par bon nombre d’officiers musulmans. Ses troupes sont stationnées dans la Bekaa et mènent le combat aux cotes des palestiniens. Un peu plus tard, la brigade a majorité chrétienne de Sarba (Jounieh) se constitue en Armée de Libération Libanaise (ALL) a laquelle se rallieront plusieurs casernes. Le 11 mars 1976, le brigadier Aziz Ahdab également sunnite pro-palestinien réussira à s’emparer de la télévision tentant un coup d’Etat militaire qui échouera. Encore un peu plus tard, seront créées les Avant-Gardes de l’ALA par le major Fahim el-Hajj dont les troupes stationnées dans la Bekaa protègeront la prestation de serment d’Elias Sarkis à Chtaura. Certains officiers druzes se constituent en Avant-Garde de l’Armée Maan dit aussi Mouvement du Jihad Druze oppose a Kamal Joumblatt. Se constitue encore l’Armée de Défense du Liban Sud qui deviendra l’ALS a tendance pro-israélienne dirigée par le major Saad Haddad. Au Nord, le colonel Antoine Barakat rallie, dans la région de Zghorta, les forces armées favorables à Sleiman Frangié. Sous la pression des événements, l’armée libanaise éclata donc en une multitude de tendances sur la base des clivages confessionnels de la société civile.

    -Au terme de la période (1975-1976), on ne peut que constater que le Liban légal n’a pas résisté au choc de l’événement : les institutions sont malmenées et l’armée a éclaté selon des lignes de failles confessionnelles.

    -Je savais, et c’est nous qui savions par la nature des choses, que la Résistance et les partis nationaux possédaient plus d’armes et de munitions que l’armée du Liban tout entière, et pas seulement les partis tels que les Kataëb ou le PNL (Discours du 20 juillet 1976 de Hafez el-Assad).

    -La période qui nous intéresse se situe en 1978. Elle commence par un incident à la caserne de Fayadiyeh qui dégénère opposant  l’armée libanaise et les forces chrétiennes aux syriens de la FAD, elle rebondit en une guerre de 100 jours, elle se clôt par la conférence de Beiteddine. La caserne de Fayadiyeh est l’une des plus importantes de l’armée libanaise et est située à proximité du ministère de la Défense. Les syriens de la FAD avaient installe un barrage non loin de l’entrée de la caserne. Le 7 février 1978, un accrochage oppose un officier libanais, le capitaine Samir Achkar, et ses troupes, aux éléments de la FAD. L’incident dégénère. La caserne est bombardée durant plusieurs jours.
    Des éléments du PNL de Camille Chamoun se rangent aux cotes de l’armée tandis que les Forces Spéciales de Rifaat el-Assad, frère du président syrien, interviennent. Les bombardements s’étendent rapidement à l’ensemble du secteur Est de Beyrouth. Les divers assauts contre la caserne et contre Ain el-Remmaneh sont infructueux. Les syriens sortent humilies de l’épreuve enregistrant de très lourdes pertes.
    L’incident de Fayadiyeh a montré aux chrétiens qu’ils pouvaient résister en dépit de l’occupation syrienne : tant à Achrafieh qu’à Ain el-Remmaneh, les forces syriennes disséminées furent attaquées et éprouvèrent un sentiment de totale insécurité.

    -La conférence de Beiteddine se tient du 15 au 17 octobre 1978 sous les auspices de l’Arabie Saoudite. Elle fixe pour tache aux autorités libanaises de parvenir à l’entente nationale et de reconstruire l’armée.
    Suite a la conférence, le Conseil des ministres est appelé à se prononcer sur un programme de démantèlement de tous les aspects militaires ne relevant ni de l’armée, ni des FSI, ni de la FAD et de ramassage des armes des milices.

    -Simultanément a l’éclatement de l’armée, certaines unités stationnées au Sud, auxquelles s’étaient joints des volontaires, s’étaient regroupées autour du commandant Haddad qui contrôlait un certain nombre de villes et de villages partages en 3 zones situées a proximité de la frontière libano-israélienne (a l’Est : Marjeyoun ; au centre : Rmeich, Bent Jbeil, Ain Ebel, Yaroun ; a l’Ouest : Alma el-Chaab et Yarin).

    -Le 15 mars 1978, un communique militaire israélien insiste sur le caractère limité de l’opération qui ne vise ni l’armée, ni la FAD et annonce la reddition d’un nombre important de bases palestiniennes.

    -Le 27 mars 1978, le commandant Haddad annonce la formation de l’ALS.

    -Le 13 juin 1978, Israël confie la ceinture de sécurité qui borde sa frontière aux commandants Haddad et Chidiac. Ainsi, 1500 miliciens de l’ALS contrôleront une ceinture de sécurité entre la FINUL et la frontière Nord d’Israël. Le 16 juin 1978, les miliciens de l’ALS s’opposent a l’entrée de la FINUL dans la zone qu’ils contrôlent.
    Simultanément, au cours d’un sommet qui avait eu lieu le 13 mai 1978 entre les présidents Sarkis et Assad, il avait été décidé d’envoyer l’armée libanaise dans le Sud du pays. Le 31 juillet 1978, un détachement de 700 hommes de l’armée libanaise ne parvient pas a traverser Marjeyoun pour atteindre Tibnine ou il avait mission de s’installer ; l’ALS bloque sa progression en l’accusant d’être compose d’éléments syriens.

    -Une tentative d’envoi de l’armée au Liban Sud dans la zone occupée par la FINUL a lieu du 15 au 18 avril 1979 en vertu de la résolution 444 du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui avait lie cette opération au renouvellement de la Force. L’ALS bombarde alors les villages situés dans la zone de la FINUL. Le 18 avril 1979, le commandant Haddad ne reconnaissant plus l’autorité centrale, proclame l’indépendance de la zone qu’il contrôle, ce qui signifie que l’armée libanaise n’a rien à faire dans cette zone.

    -Aux mois de mars et d’octobre 1980, de nouvelles tentatives de déploiement de l’armée libanaise auront lieu sans plus de succès. L’armée libanaise sera forcée de se retirer le 25 octobre 1980.

    -Au début de l’année 1979, des tractations portant sur la réorganisation de l’armée sont en cours et les retraits de la FAD pourraient s’expliquer comme autant de moyens de pressions destines à accélérer ce processus.
    Suite au retrait des contingents non syriens de la FAD, l’armée récupère leurs positions notamment celles qu’ils tenaient aux abords du quartier chrétien d’Achrafiyeh et sur les voies d’accès y conduisant.

    -Le 6 février 1980, le Conseil des ministres libanais annonce officiellement le retrait de la FAD de l’ensemble de Beyrouth et le remplacement des troupes syriennes par l’armée ce qui entraîne inévitablement une montée de la tension. Les 6 et 7 mars 1980 a lieu le retrait effectif des troupes syriennes de Beyrouth Est et de sa banlieue au profit de l’armée qui y est accueilli sous les acclamations.

    -Il est décidé, le 15 mai 1979, d’unifier les Kataëb et le PNL et de former un parti unique qui représente la quasi unanimité du camp chrétien. Les accrochages ne cessent pas pour autant, ainsi le 20 mai 1979, de nouveaux affrontements ont lieu a Akoura puis, du 14 au 17 juin 1979, entre Ain el-Remmaneh et Furn el-Chebbak ou deux bataillons de l’armée s’interposent afin de ramener le calme.

    -A Hadeth, quartier chrétien du Sud de Beyrouth, les miliciens du PNL livrèrent leurs permanences a l’armée les 8 et 9 juillet 1980, ce qui suscita de violents accrochages. La population manifesta publiquement sa désapprobation et demanda de retrait des combattants. Le désaccord initial entre armée et FL s’envenime à ce stade.
    L’hostilité entre FL et armée atteindra son paroxysme en 1990.

    -Dans une large mesure, l’alliance qui s’établira en 1990 entre l’armée commandée par le général Aoun et le PNL  de Dany Chamoun afin de lutter contre les FL sera bâtie sur les données de 1980. Le sort de l’armée va désormais être au cœur des discussions et des discours politiques.

    -Durant les années 1979 et 1980, l’armée libanaise, grâce a la pression internationale, se renforce, se restructure et se déploie dans des zones qu’elle avait du quitter au début des événements. Ce renouveau de l’armée n’est pas sans inquiéter les FL.
    L’institution militaire est en question, soutenue par les uns et combattue par les autres.

    -Lors de la visite a Paris effectuée par le président Sarkis au cours du mois de septembre 1978, il lui est clairement signifie que la France souhaiterait que l’armée soit redynamisée.
    Afin d’encourager ce processus de restauration de l’institution militaire, certains contingents participant a la FINUL font part de leur intention de se retirer et d’œuvrer en vue d’écourter le mandat de cette force.

    -Le Conseil des ministres adoptera, le 22 janvier 1981, le décret d’application de la nouvelle loi sur la Défense nationale et nommera Victor Khoury commandant en chef de l’armée.
    Grâce a ce texte, le contingent saoudien de la FAD qui stationnait a Achrafieh et contrôlait ses voies d’accès est remplace par l’armée. Il en est de même du contingent syrien qui se retire de Beyrouth Est et de sa banlieue cédant la place à l’armée accueillie triomphalement par les populations. Par ailleurs, l’armée va être envoyée à plusieurs reprises au Sud du pays pour tenter d’y restaurer la souveraineté libanaise. Enfin, dans les combats qui opposent les FL au PNL, l’armée interviendra à plusieurs reprises afin que le calme soit rétabli. Cet ensemble de constatations montre bien que, durant cette période, l’armée tente de récupérer la plénitude de son autorité sur le territoire libanais. Il faut aussi et surtout remarquer que l’armée est plus particulièrement présente dans les zones chrétiennes, c’est-à-dire sur le territoire ou les FL s’imposent par des démonstrations de puissance.
    BG ne peut qu’être contre le mouvement de restauration de l’armee.

    -Des le début des opérations, l’armée a éclaté selon les lignes de faille confessionnelles. En tant qu’institution, l’armée a beaucoup souffert de la faillite du système politique.
    Ce n’est que grâce au général  Aoun que l’armée redeviendra un instrument opérationnel.

    -Toute l’œuvre du mandat Elias Sarkis consiste à mettre sur pied l’armée envers et contre les syriens afin que son successeur puisse avoir les moyens de sa politique.
    Le discours de BG va encore se durcir lorsque le 13 août 1980, à la suite du conflit avec les FL, le PNL cède ses permanences à l’armée dans le Sud de Beyrouth, à Baabda, Hadeth et Hazmieh. La collusion notoire entre l’armee et le PNL provoque des affrontements entre les militaires et les miliciens des FL les 10 et 11 septembre 1980. Des lors, BG fulmine contre l’armee.
    Les éléments d’un conflit entre l’armée et les FL sont déjà là en 1980. Le conflit qui aura lieu entre ces deux formations au cours de l’année 1990 est en gestation des la première période de la guerre.

    -Les 7 et 8 juin 1981, se reunit a Beiteddine le Comite quadripartite de vigilance qui avait ete cree au mois d’octobre 1978 par la Ligue arabe. Ce Comite regroupe les ministres des AE de Syrie, d’Arabie Saoudite et du Koweit auxquels s’ajoute le secretaire general de la Ligue arabe sous la presidence d’Elias Sarkis assiste par le president du Conseil, Chafic Wazzan, et le ministre des AE, Fouad Boutros. Les discussions du Comite se deroulent dans une situation de guerre generalisee. Elles portent sur le role de la FAD et celui de l’armee libanaise ainsi que sur les liens entre les FL et Israel.

    -Le Document libanais, prepare par le ministre des AE libanais, Fouad Boutros, est construit autour de trois points : la rupture des relations avec Israel, l’application de l’accord du Caire ainsi que le retrait progressif de l’armee syrienne. Sur ce dernier point, il envisage le retrait de l’armee syrienne avant le 1er aout 1982 et le deploiement de l’armee libanaise par etapes.

    -Le 26 juin 1981 a Beyrouth, sur proposition saoudienne, syriens et libanais se mettent d’accord pour confier aux FSI le contrôle de Zahle. Le 30 juin 1981, l’accord se concretise : le siege de Zahle est leve, la FAD abandonne ses positions autour de la ville, 95 combattants des FL munis de leurs armes individuelles sont autorises a quitter la ville et rejoignent Beyrouth ou leur est reserve un accueil triomphal, enfin 600 FSI prennent position dans la cite.

    -Lors de l’invasion de 1982, Israel rejette les propositions palestiniennes de desengagement simultane avec deploiement de l’armee libanaise et retrait des combattants palestiniens dans 4 camps.

    -Le 27 juin 1982, Israel fait connaître ses propositions : 15 organisations palestiniennes devront remettre leurs armes a l’armee libanaise, les combattants partiront en Syrie par convoi special du CICR.

    -Sur le terrain, a la suite de l’evacuation des combattants palestiniens, l’armee libanaise et les FSI penetrent a Beyrouth Ouest au tout debut du mois de septembre 1982. Leur mission consiste a desarmer les milices, a recuperer les stocks d’armes et a prendre le contrôle des camps. C’est ainsi que, le 9 septembre 1982, l’armee libanaise entre dans Borj-Brajneh ce qui lui etait interdit depuis 1969 conformement aux accords du Caire.

    -Les 19 et 20 septembre 1982, l’armee libanaise est conduite a se deployer a l’interieur et aux alentours des camps de Sabra et Chatila, apres les massacres qui y ont ete commis.

    -Le 26 septembre 1982, l’armee israelienne se retire de Beyrouth Ouest, le 28, du port et le 29 de l’aeroport. Simultanement, l’armee libanaise entre dans cette partie de la ville ou elle se livre a de nombreuses arrestations.

    -Du 2 au 15 octobre 1982, suite au depart des israeliens, l’armee libanaise et les FSI se deploient dans Beyrouth Ouest. De gigantesques operations de police y sont menees avec l’appui des contingents italien et francais de la FM. Le 14 octobre 1982, l’armee libanaise prend position a Hadeth, Hazmieh, et Baabda. Le 15, sont annonces les chiffres de 1441 personnes apprehendees et de 972 arretes. Le 3 novembre 1982, elle commence a se deployer en secteur chretien, a Beyrouth Est, ou les FL manifestent leur opposition quant au ramassage des armes et aux perquisitions pratiquees.

    -Fin 1982, les americains fourniront a l’armee libanaise une aide en materiel militaire.

    -Le 5 mars 1982, conformement a sa decision de mettre fin a la mission de la FAD, le gouvernement libanais dissout le commandement de la force a compter du 31 mars 1982 a 24h. Simultanement, il confie a l’armee libanaise le soin de prendre possession des equipements et des locaux qui avaient ete mis a sa disposition.

    -Le 15 octobre 1982, afin de mettre fin a la presence des miliciens appartenant aux FL dans la zone, des notables druzes demandent qu’y soit deployee l’armee libanaise. A cet effet, l’armee israelienne effectue des retraits partiels et l’armee libanaise se deploie a sa place dans certains villages du Chouf a la fin du mois d’octobre.

    -Des incidents FL –druzes ont lieu en octobre et novembre 1982, mais les barrages israeliens empechent l’armee libanaise d’intervenir.
    -Afin de juguler le cycle de la violence, un comite de coordination regroupant l’ensemble des parties au conflit est cree des le 17 octobre 1982 et se reunit le 15 decembre 1982 a Baabda pour insister sur l’urgence du deploiement de l’armee libanaise dans la zone. Le 13 decembre 1982 sont egalement constituees des commissions mixtes PSP –FL –armee israelienne qui concluent que la securite de la region doit etre assuree par les armees israelienne et libanaise.

    -Au debut du mois de juillet 1983, un plan de redeploiement des forces israeliennes est mis au point par le ministre de la Defense Moshe Arens qui affirme que l’operation s’effectuera en coordination avec l’armee libanaise et qu’il n’y aura pas de place pour le vide ou l’anarchie.

    -Du 10 au 22 aout 1983, ont lieu des affrontements entre l’armee libanaise et le PSP. L’aeroport, les positions de l’armee a Kfarmatta et Aley, le ministere de la Defense et la mission israelienne de Yarze sont bombardes a partir du Chouf.

    -Le 25 aout 1983, a l’occasion d’un message a la nation, le president Amine Gemayel annonca l’entree progressive de l’armee libanaise dans le Chouf apres retrait des elements appartenant aux FL qui y stationnent.
    Le PSP refuse l’entree de l’armee libanaise dans le Chouf sans un accord prealable posant les fondements d’une entente nationale.

    -Le 9 septembre 1983, l’armee libanaise s’installe sur la route cotiere et l’axe Beyrouth –Damas jusqu'à Aley.

    -Du 15 au 25 septembre 1983, se deroula la bataille de Souk el-Gharb ou la 8e Brigade de l’armee libanaise, commandee par le colonel Michel Aoun, parvient a stabiliser le front tandis que la flotte americaine bombarde la Montagne a partir de la mer afin d’appuyer l’armee libanaise en aneantissant les batteries des adversaires.
    L’intervention americaine aux cotes de l’armee libanaise est vivement critiquee par la Syrie et l’Union Sovietique.

    -Un accord syro –saoudien avait ete adopte le 13 septembre 1983 a Damas. Il prevoyait un cessez-le-feu sous le contrôle d’observateurs neutres, le retour des refugies dans la Montagne, le remplacement de l’armee libanaise par les FSI, et la tenue d’une reunion de reconciliation nationale a laquelle participeraient la Syrie et l’Arabie Saoudite. Amine Gemayel refusa ces propositions et notamment exigea le maintien de l’armee dans la Montagne.

    -Le 31 septembre 1983, le general Hakim, chef d’etat-major druze de l’armee libanaise, rejoint la garnison druze de Hammana et fait part de sa volonte de demeurer dans la Montagne par devoir national.

    -En decembre 1983, Rachid Karame, leader sunnite de Tripoli, participe directement aux negociations ayant trait a l’evacuation d’Arafat et des loyalistes. Il tente de saisir l’occasion pour faire adopter un accord de pacification du Liban Nord ou prendraient position les FSI.
    Le 18 decembre 1983, 350 FSI arrivent a Tripoli pour surveiller l’evacuation qui a lieu le 20.

    -Le 5 fevrier 1984, Walid Joumblatt et Nabih Berri, dont les troupes s’emparent de Beyrouth Ouest et de la banlieue Sud apres de violents combats avec l’armee libanaise, exigent la demission du chef de l’Etat.

    -Au debut du mois de novembre 1983, de violents combats eclatent d’une part entre Amal et l’armee libanaise dans la banlieue Sud de Beyrouth et, d’autre part, entre les druzes du PSP et l’armee libanaise sur le front de Souk el-Gharb ou le colonel Michel Aoun avait jugule la progression des forces islamiques a la fin de la Guerre de la Montagne.
    A la mi-decembre 1983, les affrontements reprennent entre Amal et l’armee libanaise a Chyah et Borj –Brajneh.

    -Le 13 janvier 1984, des accrochages ont lieu entre Amal et l’armee libanaise au centre de Beyrouth. Le lendemain, Nabih Berri accuse l’armee libanaise de jouer la provocation et bombarde la montagne chretienne jusqu’au Kesrouan. Le palais presidentiel de Baabda est egalement pris pour cible du 20 au 23 janvier 1984.

    -Le 2 fevrier 1984, suite a des incidents qui eurent lieu a Ain el-Remmaneh, l’armee libanaise bombarde la banlieue chiite de Chyah et ses environs. Le 3 fevrier 1984, les combats s’etendent a l’ensemble de Beyrouth Ouest.

    -Le 6 fevrier 1984, alors que la FM fait preuve d’une inertie totale et que l’armee libanaise abandonne ses positions, Amal investit Beyrouth Ouest et proclame le couvre-feu.
    Amal et la 6e Brigade de l’armee libanaise, commandee par le general Chahine dans la Bekaa, se coalisent et empechent le colonel Michel Aoun de deployer ses troupes a Beyrouth Ouest.

    -Le 14 fevrier 1984, les combats de Beyrouth se deplacent au Sud Est de la capitale a la region de Chahhar el-Gharbi qui tombe entre les mains du PSP et d’Amal : le long de la cote, Khalde est prise par Amal et Damour par le PSP le 15 fevrier. La 4e Brigade de l’armee libanaise, qui tenait la zone, se disperse vers le Sud dans les regions encore occupees par Israel. Seul le verrou de Souk el-Gharb tient bon.

    -Le 23 juin 1984, alors que de nouveaux accrochages ont lieu, le gouvernement libanais adopte un plan de pacification pour Beyrouth ainsi que la grande banlieue.
    Afin de mener a bien cette tache, le colonel Michel Aoun est promu general et nomme commandant en chef et president d’un nouveau conseil militaire dont le vice-president est le general Hakim. Le general Aoun confiera au colonel Elias Khalil le soin de reorganiser l’armee libanaise selon un programme en trois points qui prevoit une reprise en main du personnel, du materiel et de l’autorite.
    Suivant ce plan, le general Aoun va muter plus de 170 officiers, nommer de nouveaux commandants de brigade, etablir un inventaire du materiel et renforcer la discipline. Mais le general Aoun ne sera pas suivi politiquement par le Parlement libanais qui ne votera pas les credits necessaires a la mise en œuvre de son plan. Ce n’est qu’en 1988 que l’armee libanaise aura les moyens materiels de realiser ses ambitions.
    Au debut du mois de juillet 1984, les armes lourdes commencent a etre retirees des deux parties de Beyrouth et remises aux forces legales sous le contrôle des observateurs francais. Enfin, la 3e Brigade de l’armee libanaise, composee a la fois de chretiens et de musulmans, se deploie sur la ligne separant les deux secteurs de Beyrouth. Le 1er aout 1984 a lieu la reunification officielle de Beyrouth, ce qui n’empechera pas que des affrontements aient lieu notamment du 28 octobre au 11 novembre 1984 a la suite desquels un plan de pacification prevoiera l’installation de la 5e Brigade (chretienne) a l’Est, de la 6e (chiite) a l’Ouest et la 3e (mixte) dans le centre-ville, reglant ainsi de desaccord entre milices sur les modalites de deploiement de l’armee a Beyrouth. En ce qui concerne la Montagne et la zone de Chahhar el-Gharbi, la situation est encore plus problematique qu’a Beyrouth malgre les projets de retour des chretiens dans le Chouf et les plans de deploiement de l’armee libanaise sur la route cotiere de Beyrouth a l’Awali. Walid Joumblatt fait obstruction a cet ensemble de perspectives remettant en cause son autorite sur la zone.

    -Sur le terrain, suite au retrait israelien d’une zone limitee a l’Est par le mont Barouk et au Sud par le fleuve Awali, les milices infeodees a Damas appuyees par les troupes syriennes l’emportent sur l’armee libanaise d’abord dans la Montagne, c’est-a-dire a l’Est de la zone evacuee, puis a Beyrouth Ouest et dans la banlieue Sud, c’est-a-dire au Nord de la zone evacuee enfin dans la region de Chahhar el-Gharbi, c’est-a-dire a l’Ouest de la zone evacuee (entre septembre 1983 et decembre 1984).

    -Cette periode a egalement forge l’homme qui incarnera la destinee du Liban de 1988 a 1990. Michel Aoun y enregistre ses premiers succes : il tient le verrou de Souk el-Gharb, il est nomme commandant en chef d’une armee libanaise qu’il s’efforce de batir. Il representera l’antithese de cette periode dont il est issu incarnant l’autorite, le volontarisme et la liberation comme une revanche sur l’evenement fondateur. Ainsi que l’ensemble des chefs d’Etat libanais qui eurent a gerer la guerre, il saura refuser en depit des abandons.

    -Du 22 au 26 fevrier 1984, le contingent US remet les positions qu’il occupait a Beyrouth Ouest et dans la banlieue Sud a la 6e Brigade de l’armee libanaise (chiite) et a Amal puis reembarque pour les USA.

    -A partir du 23 mars 1984, et jusqu'à la fin du mois, le contingent francais se retire progressivement en cedant ses positions soit a la 6e Brigade de l’armee libanaise, soit aux FSI.

    -La FM, prise au cœur des combats opposant l’armee libanaise a Amal a Beyrouth Ouest et remise en question par les mouvements terroristes, il n’y avait d’autres issues que l’evacuation ou l’engagement effectif. La 1e solution a prevalu, aucun Etat ne desirant s’impliquer durablement comme acteur du conflit.

    -Les negociations israelo-libanaises destinees a mettre en place l’organisation du retrait israelien du territoire libanais debutent a Naqoura dans le Sud du Liban du 8 novembre au 20 decembre 1984. Ces negociations sont engagees sous le patronage des USA. La delegation libanaise, placee sous l’autorite du general Mohammed el-Hajj, est composee de trois officiers chretiens et de 3 musulmans. Les positions israeliennes consistent a demander un redeploiement de la FINUL, le maintien de l’ALS et la reconnaissance d’un droit de represailles en cas d’agression conduite contre Israel a partir du territoire libanais.
    Les positions libanaises consistent, quant a elles, a revendiquer le retrait total d’Israel, le deploiement de l’armee libanaise a sa place, et le versement d’indemnites pour les torts causes.

    -Le 16 fevrier 1985, les troupes israeliennes evacuent Saida, principale ville de la zone. Le jour meme, les milices musulmanes penetrent dans la ville. Quelques jours plus tot, le president Gemayel et le Premier ministre Rachid Karame avaient recu le soutien de Damas pour le deploiement de l’armee libanaise dans la zone liberee. Le 21 fevrier, relayant cette position, Abdel-Halim Khaddam reaffirme l’appui syrien a l’instauration de l’autorite legale a Saida qui vient d’etre evacuee. Amal et le PSP sont hostiles au deploiement de l’armee.

    -Debut mars 1985, Abdel-Halim Khaddam, au cours de deux reunions de travail reunissant a Baabda les differentes tendances libanaises, elabore un programme de redeploiement de l’armee libanaise avec l’aide de la Syrie.

    -Un plan de paix prevoyant le deploiement de la 1e Brigade de l’armee libanaise, prosyrienne, et le retour des populations civiles chretiennes ayant fui les regions de Saida et de l’Iklim el-Kharroub est propose, le 1er mai 1985.
    Les zones evacuees tombent entre les mains des milices ou des brigades infeodees a Damas. C’est ainsi que le PSP recupere Jabal el-Barouk et que la 1e Brigade de l’armee libanaise (sous contrôle syrien) se deploie dans la Bekaa occidentale, du 13 au 24 avril 1985.

    -Au terme de l’annee 1982, les pasdarans sont si bien implantes au Liban qu’ils occupent l’hotel de ville de Baalbeck et s’emparent egalement de la caserne Cheikh Abdallah.

    -Le 8 janvier 1983, lors d’une visite du Premier ministre libanais Chafic Wazzan au president Assad, est elabore un plan de pacification de Tripoli prevoyant la releve des elements appartenant au Fath par des FSI.

    -Le 3 octobre 1985, la Syrie impose, a Damas, la signature d’un accord entre les 4 milices qui lui sont alliees a Tripoli (PSNS, PCL, Baath, PAD) et Cheikh Chaaban pour le Tawhid. Cet accord prevoit le contrôle militaire de la ville par l’armee syrienne et les FSI, la creation d’un comite de coordination preside par Rachid Karame, ainsi que le ramassage des armes lourdes.

    -La 1e guerre des camps commence le 19 mai 1985, date a laquelle Amal, la 6e Brigade chiite, et certains elements de la 3e Brigade de l’armee libanaise tentent de reduire les 3 camps palestiniens de Sabra, Chatila et Borj –Brajneh, situes dans la banlieue Sud de Beyrouth.
    Le 17 juin 1985, un accord est conclu a Damas entre Amal, le Front du Salut National palestinien et le Front National Democratique libanais. Il prevoit un cessez-le-feu, le retrait d’Amal et de la 6e Brigade de l’armee libanaise aux positions qu’elles occupaient avant le conflit, la liberation des prisonniers, l’organisation de la securite des camps qui sera confiee a des FSI ayant des postes de surveillance a l’interieur de leurs enceintes, le ramassage des armes lourdes et moyennes qui devront etre transferees hors des camps sous la surveillance d’un comite mixte de coordination compose de delegues des trois parties avec la participation d’un observateur syrien.

    -Au debut du mois d’aout 1985, les FSI se deploient simplement aux abords des camps de Sabra et Chatila a la place d’Amal mais l’apaisement est de courte duree.

    -Le 2 juin 1986, Amal et la 6e Brigade tentent d’investir Chatila et Borj –Brajneh.
    La fin du mois de juin 1986 est marquee par la reprise des combats particulierement le 27 juin ou Amal et la 6e Brigade tentent a nouveau d’investir les camps de Beyrouth et de Tyr.
    Le 28 juin, le 6e Brigade de l’armee libanaise se deploie a Beyrouth Ouest pour mettre un terme aux affrontements entre les milices et des observateurs syriens se positionnent autour des camps palestiniens afin de surveiller le cessez-le-feu qui avait ete conclu le 11 juin 1986.

    -Au debut du mois de juillet 1985, un 3e conflit entre milices islamiques opposa la milice chiite Amal au PSP druze a Beyrouth Ouest. Amal et le PSP ont en effet recupere les positions evacuees par l’armee libanaise et la FM et c’est desormais entre les 2 milices victorieuses qu’un conflit territorial et de leadership eclate.

    -Une des clauses de l’accord tripartite (28 decembre 1985) :
    l’armee libanaise sera principalement affectee a la lutte contre Israel. Il est prevu que : « Sa reconstruction s’effectuera sur la base d’une ideologie nationale de lutte. Cette ideologie trouvera son fondement dans les principes qui determinent l’identite du Liban et son appartenance a son environnement arabe. Cette reedification s’accomplira en harmonie avec les demarches deployees en vue de la coordination et de la complementarite strategique avec la Syrie ».
    En matiere de politique de defense : « Il y a lieu de s’entendre sur le stationnement d’unites de l’armee syrienne au Liban dans des points fixes par des commissions militaires conjointes, conformement aux imperatifs strategiques de securite du Liban et de la Syrie et cela, en attendant la reedification de l’armee libanaise et sa rehabilitation avec le concours de la Syrie.

    -Elie Hobeika passe a l’action contre Amine Gemayel en attaquant, le 13 janvier 1986, les milices Kataeb du Metn Nord ainsi qu’une brigade de l’armee libanaise a Sinn el-Fil, tandis que le president est a Damas ou il s’entretient avec Hafez el-Assad. Le lendemain, une treve s’instaure grace a l’intervention du general Michel Aoun, commandant en chef de l’armee libanaise.

    -Le 16 janvier 1986, Elie Hobeika est en tres mauvaise posture : assiege dans son PC de la Quarantaine, il est contraint de donner sa demission, il est ensuite evacue sous la protection de l’armee libanaise et du general Michel Aoun vers le ministere de la Defense puis quitte Beyrouth pour la France tandis que les bombardements syriens se poursuivent.

    -Des bombardements sur Souk el-Gharb visant egalement le palais presidentiel de Baabda ont lieu du 30 janvier au 6 fevrier 1986. Ils opposent la 5e Brigade de l’armee libanaise et le PSP. Les lignes s’embrasent le 9 fevrier, les 3 et 4, 20, 26 et 27 mars, les 24 et 29 avril, puis du 2 au 8 mai ainsi que les 21, 22, 23 et 30 mai, les 20 et 21 juin, le 27 juillet, les 12 et 18 octobre 1986.

    -A la fin du mois de juin 1986, afin de faire regner l’ordre dans le secteur musulman de la capitale, 250 hommes des Forces speciales syriennes, 80 officiers et des membres des services de securite places sous la direction du general syrien Ghazi Kanaan recoivent pour mission d’encadrer et d’appuyer une force speciale commandee par le colonel Farchoukh comprenant 900 hommes de l’armee libanaise appartenant a la 6e Brigade (chiite), a la 11e Brigade (druze) et a la 12e Brigade (sunnite) auxquels s’adjoignent des FSI. Cette force a pour mission d’organiser des patrouilles mixtes a Beyrouth Ouest et de mettre en application les nouvelles mesures de securite. Elle demantele les barrages, et se deploie, dans le courant du mois de juillet et au debut du mois d’aout, tant a Beyrouth Ouest que dans la banlieue Sud de la capitale malgre les vives reticences du Hezbollah.

    -Entre le reglement du conflit Amal –PSP et celui du conflit Amal –palestiniens, le 4 mars 1987, 350 soldats de la 12e Brigade (sunnite et chiite) de l’armee libanaise se deploient de l’AIB au pont sur le fleuve Awali a l’entree Nord de Saida. Le 14 avril 1987, les troupes syriennes appartenant aux Forces speciales se deploient dans la meme zone qui longe la route cotiere du Sud, s’ajoutant aux hommes de la 12e Brigade.

    -Un accord est signe le 20 janvier 1988 au siege des observateurs syriens a Beyrouth Ouest. Il prevoit le retrait d’Amal et de la 6e Brigade chiite de l’armee libanaise de la peripherie des camps de Chatila et Borj-Brajneh.

    -Les affrontements entre Amal et Hezbollah s’achevent officiellement le 5 novembre 1990 par la signature a Damas d’un accord entre Nabih Berri (Amal) et Sobhi Toufayli (Hezbollah) conclu sous le copatronage des ministres syrien et iranien des AE. L’accord prevoit un cessez-le-feu, le retour des deplaces dans leurs localites d’origine, le deploiement de l’armee libanaise au Sud du pays et un engagement des deux parties a appliquer le precedent accord qui avait ete conclu a Damas le 22 fevrier 1989.
    Cela n’empechera pas les combats de rebondir au mois d’octobre et dans la 1e quinzaine du mois de novembre 1991. L’armee libanaise interviendra le 18 novembre 1991 pour mettre un terme aux affrontements sporadiques. Le lendemain, les deux parties publieront un communique commun d’arret des combats.

    -Des le debut de l’annee 1988, le general Michel Aoun, commandant en chef de l’armee, se pose comme un recours afin que le processus constitutionnel soit respecte. Michel Aoun est un homme credible qui jouit d’un certain charisme non seulement pour avoir tenu le verrou de Souk el-Gharb lors du deferlement des milices islamiques vers Beyrouth au moment de la guerre de la Montagne sauvant ainsi le palais presidentiel de Baabda mais aussi parce qu’il s’agit d’un homme integre qui s’est efforce de reorganiser et d’equiper l’armee libanaise en depit des difficultes que l’entreprise presentait. Le raisonnement de Michel Aoun, bien qu’aux antipodes de celui de Damas, tend au contrôle des milices mais par la legalite libanaise et non par la Syrie et sous-entend leur inutilite non plus pour l’accession au pouvoir mais en vue de la restauration de celui-ci. La logique de respect de la legalite du general Aoun est donc, par essence, exclusive du fait milicien tantot simplement contrôle, tantot radicalement supprime. Des le debut de l’annee 1988, le general Aoun devait se heurter aux milices peu desireuses de lui ceder la place.
    La premiere initiative milicienne emane du PSP druze et de son chef Walid Joumblatt. Elle vise a demontrer l’inefficacite de l’armee libanaise par une provocation. Le 1er janvier 1988, en effet, un helicoptere de l’armee libanaise est detourne vers le Chouf par un officier druze. A titre de represailles, l’armee libanaise met en place, des le lendemain, un blocus des ports druzes de Khalde et de Jiye. Walid Joumblatt, tout en denoncant la totale allegeance de l’armee libanaise au president Amine Gemayel, accepte un compromis qui consiste a remettre l’helicoptere detourne a la 11e Brigade druze de l’armee libanaise stationnee a Hammana. Des lors, le blocus est leve le 15 janvier. Le PSP, qui a voulu tester les defenses du general, a pris conscience de sa determination a faire regner l’ordre, y compris en utilisant les moyens militaires dont il dispose.
    Un 2e axe de confrontation oppose l’armee libanaise aux FL. Le 4 mai 1988, alors que l’armee libanaise effectue une tentative de deploiement dans le secteur chretien, plusieurs incidents eclatent avec les FL peu desireuses de ceder le terrain. Pour faire comprendre leur determination, les FL mobilisent pres de 2000 hommes, si bien que le president Amine Gemayel, conscient du risque de conflit, rappelle aux militaires qu’ils sont lies par l’obligation de reserve, par ailleurs, celui-ci impose le remplacement des soldats par des FSI. Au cours de l’ete 1988, a l’occasion de la campagne presidentielle, le general Aoun fustige a plusieurs reprises dans ses discours les milices chretiennes.

    -Nous avions vu comment, avec Bechir Gemayel, les rapports entre l’armee libanaise et les FL etaient devenus conflictuels. Par ailleurs, lors de la bataille de Soul el-Gharb de septembre 1983, le colonel Aoun a la tete de la 8e Brigade de l’armee libanaise avait tenu bon face aux forces islamiques et plus particulierement aux druzes du PSP, cloturant ainsi leur avance lors de la guerre de la Montagne. Les deux axes de conflit sont donc traditionnels. Le fait qu’ils soient ravives denote la montee en puissance de l’armee libanaise et la volonte du general Michel Aoun d’imposer aux milices la solution de la legalite. Ce debut d’annee 1988 est egalement porteur des conflits ulterieurs qui marqueront le passage du general Aoun au pouvoir car la guerre de liberation commencera par le blocus des ports appartenant aux milices islamiques et parce que la periode s’achevera par une opposition irreductible entre l’armee libanaise et les FL.
    Le renforcement de la presence de l’armee libanaise est directement lie a la personnalite du general Aoun et a la periode electorale. Le general Aoun rappelle, d’une part, la vocation de l’armee libanaise a assurer la securite des elections et, d’autre part, affirmera le 11 aout 1988 qu’il a « pris ses dispositions pour remplir un vide constitutionnel ». Le general Aoun entend donc prendre part activement au processus electoral en tant que representant de la legalite.

    -L’atteinte a la souverainete libanaise a travers un accord syro-US designant Mikhael Daher president est refusee par le patriarche maronite, Mgr Sfeir, par le president de la Republique Amine Gemayel, par le chef des FL Samir Geagea et par le chef de l’armee libanaise, Michel Aoun.

    -Le 23 septembre 1988, le mandat du president Amine Gemayel arrive a expiration. Quelques minutes avant que celui-ci ne s’acheve, le president Gemayel nomme le general Aoun comme president du Conseil des ministres a la tete d’un cabinet restreint compose d’officiers chretiens et de confession islamique. Les officiers musulmans et druzes qui avaient ete pressentis se recusent.

    -Afin de faire acte d’autorite, Selim Hoss nomme le general Khatib chef de l’armee par interim et, le 22 novembre 1988, afin de feter le 45e anniversaire de l’Independance libanaise, deux defiles separes sont organises.

    -L’occupation syrienne a provoqué la partition de l’armée, des FSI et de la Sûreté Générale, ainsi que d’autres administrations publiques, de même qu’elle a imposé une tutelle sur la Banque Centrale.

    -Entre le général Aoun et Samir Geagea, entre l’armée et les FL, un facteur de médiation et de compromis a disparu avec l’éviction d’Amine Gemayel héritier et frère des chefs historiques et charismatiques du camp chrétien mais aussi ancien président de la République.

    -Le 13 fevrier 1989, des miliciens des FL refusent de se soumettre au contrôle des militaires a un barrage de l’AL. L’incident degenere et des accrochages ont lieu entre l’AL et les FL a Beyrouth Est, dans le Metn Nord et dans le Kesrouan. Le 14 fevrier, les affrontements sont particulierement violents et une cinquantaine de personnes sont tuees. Le general Aoun traite alors les FL de « mafia fasciste qui tente de se substituer a l’Etat de droit ». Le 15, un cessez-le-feu est conclu entre les deux formations mais la situation reste tres tendue.

    -Le 24 fevrier 1989, les FL cedent a l’AL quatre controles douaniers ainsi que celui du 5e bassin du port de Beyrouth. Ces concessions destinees a sacrifier a la legalite renaissante representent une perte de recettes importante pour les FL qui considerent que la paix et l’unite du secteur chretien est a ce prix.

    -Pour avoir combattu les FL, le general Aoun devient populaire dans le camp islamique tandis que, dans le camp chretien, il s’impose comme l’homme qui restaure la legalite face aux ecces reels ou supposes des FL.

    -Le peuple chretien est traumatise. Ses dirigeants se posent la question : comment en est-on arrive la ? On savait que l’AL et les FL avaient des projets differents et qu’il existait une tension entre les deux formations mais l’on pensait que la lucidite des dirigeants pourrait eviter le conflit. Le passage a l’acte a entraine un mouvement de stupeur, de crainte et de reprobation.

    -Au debut de 1989, la ligne qui separe l’AL des FL est devenue active sans pour autant conduire a l’explosion veritable. La ligne qui separe le camp chretien du camp islamique est aussi radicalisee puisque la separation est desormais absolue compte tenu de l’existence des deux appareils politiques et administratifs et que le veritable adversaire, celui qui manipule les forces islamiques, a ete clairement designe par le general Aoun comme etant la Syrie.

    -Le conflit entre l’AL et les FL avait trouve une solution rapide et definitive.
    Le 6 mars 1989, le general Aoun, fort de sa toute recente victoire sur les FL, decide d’appliquer le meme regime aux milices islamiques. Concretement, il constitue a cette date une chambre des operations maritimes et decrete d’une part le blocus du littoral libanais et d’autre part la fermeture des ports illegaux. La mesure vise en premier lieu les ports controles par le PSP druze de Walid Joumblatt qui lui procurent des rentrees plus que substantielles. L’interesse proteste energiquement et rechauffe le front de Souk el Gharb ou ses troupes sont en contact avec l’AL. Le general Aoun decide alors, le 11 mars, de fermer l’AIB. Du 6 au 13 mars, chaque matin, des bombardements ont lieu sur les ports situes en zone islamique afin de dissuader les navires d’y entrer.

    -Durant la nuit du 13 au 14 mars 1989, une activite febrile regne dans le secteur chretien. Une reunion entre les representants de l’AL et ceux des FL est particulierement tendue au point que l’on peut croire que le conflit de fevrier va reprendre. Le ciel est effectivement noir en ce 14 mars 1989 et la tension est perceptible dans les rues, les gens se pressent pour faire leurs courses et rentrer. En debut d’apres-midi, les rues sont pratiquement desertes. C’est dans cette atmosphere de fin du monde que les syriens bombardent massivement l’ensemble des secteurs tenus par l’AL en epargnant soigneusement ceux des FL. L’AL riposte immediatement, et le general Aoun declare : « La guerre de liberation vient de commencer…mon gouvernement a decide de prendre toutes les mesures pour chasser les syriens ».

    -La premiere periode de bombardements est particulierement dure. Les artilleurs syriens prennent pour cible les infrastructures economiques, politiques et de communication situees dans le secteur chretien. C’est ainsi que les reservoirs de carburant de Dora sont touches et explosent, la detonation est entendue jusqu'à Saida et les populations sont invitees a se proteger des gaz toxiques. Tres rapidement, les FL se mobilisent et menent le combat aux cotes de l’AL du general Aoun. Les brigades de l’AL situees dans le secteur islamique n’interviennent pas pour preserver l’unite de l’institution militaire.

    -Le 13 aout 1989 est une journee d’enfer. Ce jour-la, les forces syriennes et les miliciens druzes du PSP bombardent sauvagement le secteur chretien tentant d’effectuer un mouvement de percee sur le front traditionnel de Soul el Gharb. La tentative echoue lamentablement et le general Aoun, pour la 2e fois, remporte la bataille de Souk el Gharb.

    -Le 23 septembre 1989, le cessez-le-feu de la guerre de liberation est absolu. Le 24, le blocus est leve et le trafic reprend a l’AIB.

    -Le 2e point de l’accord de Taef prevoit la dissolution des milices dans les 6 mois a partir de l’adoption du document et le renforcement des FSI et de l’AL.

    -Le 28 novembre 1989, Selim Hoss demet le general Aoun de ses fonctions de commandant en chef de l’AL afin de le remplacer par Emile Lahoud.
    Le 15 decembre, il arrete le versement des soldes des 5 brigades de l’AL restees fideles au general Aoun.
    Ces mesures ne parviennent pas a faire ceder le general Aoun, dont les troupes ne desertent pas et dont les partisans sont toujours aussi nombreux a Baabda.

    -Au debut de la guerre de liberation, la situation etait tres tendue entre l’AL et les FL qui venaient de se battre au cours du mois de fevrier 1989.
    Prises de court par la decision de declencher la guerre de liberation, bon gre, mal gre, les FL s’engagerent aux cotes de l’AL pour combattre l’envahisseur syrien. Au tout debut du conflit, les artilleurs syriens prirent soin de ne pas bombarder les zones tenues par les FL pour tester la reaction. Ils s’apercurent tres vite que non seulement les FL intervenaient, mais que leur bombardement etait encore plus devastateur que celui de l’AL.

    -Le conflit ouvert entre l’AL et les FL commence le 30 janvier 1990 par une declaration musclee du general Aoun dans laquelle il fait part de sa decision de dissoudre la formation chretienne.
    La premiere phase du conflit est une phase d’operations militaires avec conquete de terrain.
    Du 4 au 6 fevrier, apres de rudes combats, le general Aoun parvient a prendre le contrôle du village de Dbaye et de la region du Metn, ce qui lui permet de couper les FL en deux zones : la region du Kesrouan au Nord, du Metn et l’implantation des forces a Beyrouth au Sud du Metn. Ce contrôle permet en fait de couper l’autoroute qui relie Beyrouth a Jounieh et qui constitue la colonne vertebrale du secteur chretien. Le 8, un cessez-le-feu est conclu mais ne tient pas. Le general Aoun propose a Samir Geagea d’integrer les FL au sein de l’AL et de rentrer dans son gouvernement. Le 15 fevrier, au prix de combats tres lourds, l’AL reussit a s’emparer du quartier populaire d’Ain el-Remmaneh prenant ainsi en tenaille le fief des FL, la zone residentielle d’Achrafieh.
    Les FL, au prix d’un siege sans merci, parviennent a s’emparer de la caserne de commandos, troupes d’elite de l’armee, situee a Adma. Les commandos sont remis a l’AL par l’intermediaire du CICR. Au terme de cette premiere phase, les zones d’influence des protagonistes se sont stabilisees et homogeneisees. Le pays chretien est divise en 3 regions : celle de l’AL, c’est-a-dire la zone allant du Musee a Furn el-Chebback et Ain el-Remmaneh, les regions de Baabda, Hazmieh, Jamhour ainsi que la montagne du Metn et son littoral jusqu'à Dbaye et les deux zones tenues par les FL, c’est-a-dire d’une part Achrafieh et d’autre part le Kesrouan, Jbeil compris, littoral et montagne (cette derniere zone est totalement coupee de Beyrouth par voie de terre). On estime que la zone occupee par les FL recouvre 600 Km2 et celle occupee par l’AL 400 Km2. Si les FL ont ete coupees en deux zones, l’AL ne dispose plus d’acces a la mer pour importer armement et munitions. Les protagonistes ne se sont pas departages.
    La 2e phase est une phase d’operations militaires sans conquete de terrain. Durant cette phase, les protagonistes tentent de faire bouger les nouvelles lignes au prix de violents combats. C’est ainsi que le 1er et le 2 mars, l’AL tente d’investir le QG des FL de la Quarantaine sans y parvenir tandis que le 29 mars les FL tentent un assaut infructueux sur les lignes qui separent le Metn du Kesrouan.
    La 3e phase est une phase de recherche d’appui du cote de la zone controlee par les syriens. Le 9 mars 1990, le general Aoun n’hesite pas a declarer au quotidien An-Nahar qu’il est prêt a « parler a ses freres syriens sur la base de la souverainete du Liban ». Il est d’ailleurs fourni en munitions par les milices infeodees a la Syrie qui a tout interet a entretenir le conflit interchretien ( les voies de passage sont ouvertes entre les zones controlees par l’AL et celles controlees par les milices prosyriennes afin d’y faire transiter des munitions).
    Samir Geagea, de son cote, invite le 4 avril 1990 Elias Hraoui a venir prendre possession des casernes recuperees sur l’AL sises dans les zones sous son contrôle. Elias Hraoui voudrait repondre a l’invitation de Samir Geagea, mais sent bien que la proposition est tactique. Il a peur de s’embourber dans le conflit et pretexte l’insuffisance numerique et de preparation des brigades sous son contrôle afin de ne pas intervenir.
    La 4e phase est une phase de blocus terrestre et maritime. Le general Aoun, desireux de pouvoir importer des armes et des munitions par la mer declare legal le petit port de plaisance du Golden Beach, dans la region du Metn. Au debut du mois de mai 1990, le general Aoun decrete le blocus maritime entre Beyrouth et Madfoun (soit l’ensemble du littoral chretien) avec interdiction aux navires de s’aventurer dans la limite d’une zone dite militaire situee a 45 Km des cotes libanaises. En depit des bombardements, les FL, grace a leur superiorite navale, ne respectent pas le blocus. Le blocus s’etend alors au domaine terrestre : les voies de passage internes aux regions chretiennes sont hermetiquement fermees. S’ouvrent alors, pour tourner le blocus terrestre, de nouvelles voies de passage entre les regions chretiennes et les regions controlees par la Syrie.
    Les chefs sont coinces dans leur logique et le reduit chretien est exsangue et asphyxie par les bouchons interminables que creent les controles aux multiples voies de passage entre les differentes zones tenues par l’AL ou les FL.

    -Le 27 septembre 1990, les unites commandees par Emile Lahoud relevent les miliciens des FL aux differents points de contrôle qui entourent le bastion du general. Il est vrai que cette releve n’en est pas une car ce sont, en realite, les unites commandees par Paul Fares (militaire qui, des le debut du conflit interchretien etait entre en dissidence pour se ranger aux cotes des FL) qui assurent la releve sur les barrages tandis que les hommes d’Emile Lahoud sont un peu en retrait. Il en est ainsi aux points de contrôle de Baskinta, Nahr el-Mott, Salome et Nahr el-Kalb ainsi qu’autour d’Achrafieh. A partir du 28 septembre 1990, c’est tout approvisionnement des zones controlees par le general Aoun qui est interdit.

    -Le 1er octobre 1990, un incident a Nahr el-Mott (banlieue Nord de Beyrouth) : des manifestants se trouvent pris au milieu de tirs dont on ignore l’origine (provocation ou tension des hommes qui tenaient le point de passage). La tuerie fait 25 morts et est unanimement condamnee.

    -Le 11 octobre, le general Aoun sonne le rappel de l’ensemble de ses partisans qui se massent a Baabda. Le lendemain, alors que le Departement d’Etat US laisse entendre qu’il n’y aura pas d’assaut contre le Metn affirmant que « davantage de violence n’est pas la reponse aux problemes du Liban », il apparaît certain que l’intervention aura lieu. L’heure est grave et, autour du general Aoun, se regroupent ceux qui sont prets a resister a ses cotes parmi lesquels bon nombre d’anciens compagnons d’armes de Bachir Gemayel qui ont mene le combat d’un bout a l’autre. Le 12 au soir, le general fait l’objet d’une tentative d’assassinat mais en sort indemne.

    -Le 13 octobre 1990, a 7h du matin, la bataille du Metn est engagee. L’aviation syrienne entre en scene, prenant pour cible le palais presidentiel de Baabda et le ministere de la Defense a Yarze. Les lignes sont enfoncees par les blindes syriens qui progressent rapidement dans le Metn. Les FL qui encerclaient la zone n’interviennent pas ni pour se battre aux cotes des troupes libanaises du general Emile Lahoud qui secondent les syriens, ni pour tenter de reconquerir du terrain en profitant de cette occasion. Le general Aoun comprend qu’il n’y a plus rien a faire si ce n’est d’epargner des vies humaines. Elias Hraoui exige alors qu’il se rende a l’ambassade de France pour negocier un cessez-le-feu. A la demande de l’ambassadeur Rene Ala, il se laisse convaincre et se rend a la chancellerie en compagnie de 3 de ses officiers et de 2 soldats.
    De l’ambassade de France, il appelle ses troupes, dans un communique pathetique, a se rallier aux brigades de l’AL commandees par Emile Lahoud. Elie Hobeika, dont le general avait assure l’evacuation lorsqu’il etait encercle par Samir Geagea a la Quarantaine, accompagnera Mme Aoun et ses enfants jusqu'à l’ambassade de France. Sur le terrain, pres d’une centaine de soldats appartenant aux brigades du general Aoun sont executes par les syriens en depit de leur reddition. Un peu partout, on signale des executions (Dahr el-Wahech, Baskinta, Kfarchima, Bsous). Le bilan de l’offensive du 13 octobre 1990 est particulierement lourd puisque l’on denombre plus de 200 morts et 600 blesses.

    -Le 21 octobre 1990, des inconnus dont irruption au domicile de Dany Chamoun, chef du PNL, rallie au general Aoun ; celui-ci est assassine ainsi que son epouse et 2 de ses 3 enfants.

    -Le sort des officiers et soldats libanais emprisonnes a Damas constitue une autre source de preoccupation.

    -Le general Aoun est inculpe de detournements de fonds et, le 1er novembre 1990, Elias Hraoui insiste sur le fait qu’il ne pourra sortir impunement de l’ambassade de France. A la mi-decembre, 5 de ses officiers pourront quitter l’ambassade, lui-meme ne sera autorise a sortir, apres de multiples tractations, qu’au mois d’aout 1991. Il s’installera en France sous reserve de diverses interdictions destinees a empecher un eventuel retour prochain sur la scene libanaise.
    Le general Aoun etant politiquement elimine, le plan de Taef peut continuer a s’executer en toute quietude.

    -Le 15 octobre 1990, Selim el Hoss rend public un plan de desengagement des milices du Grand Beyrouth, c’est-a-dire de Nahr el-Kalb au Nord a Damour au Sud et a Aley a l’Est. Dans cette zone, les milices devraient disparaître au profit d’un deploiement de l’AL.
    Des negociations sont engagees par les FL en vue de definir les compositions des brigades chargees de controler le quartier chretien d’Achrafieh.

    -Au cours du mois d’avril 1991, le ton monte entre les palestiniens et Elias Hraoui. L’opposition palestinienne fut reduite militairement. Les combats s’acheverent par un cessez-le-feu conclu le 4 juillet 1991. Les palestiniens devant soit remettre leurs armes aux autorites libanaises, soit les retirer du pays en contrepartie d’un engagement libanais a reconnaître leurs droits politiques et sociaux.

    -Le port de Beyrouth a ete recupere par l’AL le 22 fevrier 1991, et les ports illegaux le 11 mars 1991 (Dbaye, Golden Beach, Jamil Gemayel, Uzai, Khalde et le 5e bassin du port de Beyrouth).

    -En ce qui concerne le Hezbollah, la caserne Cheikh Abdallah a ete recuperee a Baalbeck.

    -En ce qui concerne les FL, l’AL a recupere l’immeuble de la LBC, le casino du Liban, et investi la Quarantaine, siege de Samir Geagea, ce qui a declenche un sentiment d’emotion generale, compte tenu du caractere pour le moins cavalier de l’operation.

    -Un 4e aspect de la normalisation concerne la tentative de deploiement de l’AL sur l’ensemble du territoire. Une premiere decision de deploiement de l’AL dans le Sud de la Bekaa Ouest a ete prise des le 1er fevrier 1991, mais celle-ci ne fut que partiellement executee au cours de l’annee apres d’apres combats avec les palestiniens. L’AL est d’abord parvenue a se deployer a Saida et jusqu'à Kfarfalous, puis a Mieh-Mieh et a Tyr jusqu'à la limite de la zone de stationnement de la FINUL. Le deploiement fut ensuite impossible compte tenu des mises en garde d’Israel et de l’ALS (Jezzine et Iqlim el-Touffah). L’AL parvint toutefois a se deployer dans deux villages de l’Iqlim (Zawter-Est et Ouest) dans le courant du mois d’aout 1991. Le 9 octobre 1991, une lettre du secretaire general de l’ONU informa clairement le gouvernement libanais de son refus du deploiement de l’AL dans la zone tenue par la FINUL. M. Goskel, porte-parole de la FINUL, dementit l’eventualite du retrait de la Force et son remplacement par l’AL. Le deploiement est donc encore inacheve et les incidents se multiplient a la frontiere Sud du pays.

    -L’AL a ete deployee dans la montagne pour favoriser le retour des refugies.

    -Le 31 octobre 1991, les USA octroient une aide militaire a l’AL.

    -Un accord de defense et de securite a ete signe entre le Liban et la Syrie a Damas le 1er septembre 1991. Cet accord interdit « tout acte, toute action, toute organisation susceptible de porter atteinte a la Syrie ». Il prevoit une obligation d’extradition de ceux qui menaceraient la securite de l’autre partie ainsi qu’une obligation d’information. Par ailleurs, les armees syrienne et libanaise sont invitees a se rapprocher et un Comite des affaires militaires est institue. Enfin, l’accord prevoit une collaboration dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et le trafic de la drogue.

    -A l’occasion de la visite a Paris du president du Conseil libanais Rachid Solh le 29 juillet 1992, le ministre francais des AE, Roland Dumas, affirme : « Aujourd’hui plus que jamais, la souverainete libanaise semble a portee de main : l’AL etendra en septembre prochain son autorite sur le territoire libanais parallelement au retrait syrien ».


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  • Chronique du Liban rebelle : 1988-1990 ; Grasset :

    -Conformement a la Constitution, le president sortant, Amine Gemayel, designa le 23 septembre 1988 le general en chef de l’armee libanaise, Michel Aoun, comme Premier ministre charge de preparer l’election presidentielle.

    -En fevrier 1989, Michel Aoun s’attaque aux Forces Libanaises de Samir Geagea. La milice fut mise au pas par l’armee libanaise. Cette derniere prit possession du port de Beyrouth, d’où les Forces Libanaises tiraient une part importante de leurs revenus financiers.

    -Le 14 mars 1989, le general Aoun declenchait la guerre de Liberation contre l’occupation syrienne au Liban.

    -Le 24 novembre 1989, Salim el-Hoss demit le general Aoun de ses fonctions de general en chef et nomme a sa place le general Emile Lahoud.

    -Debut 1990, Samir Geagea, encourage par l’ambassadeur US, John MacCarthy, engage les miliciens des Forces Libanaises contre les soldats de Michel Aoun. Le territoire du reduit chretien est coupe en deux, et Michel Aoun n’a plus acces a la mer. Il perd cette bataille puisqu’il ne la gagne pas.

    -Le samedi 13 octobre 1990, le president syrien Hafez el-Assad, allie depuis le mois d’aout des americains, des britanniques et des francais dans le conflit du Golfe, lance ses troupes a l’assaut de Baabda. Aoun, tombe aux premieres heures de la matinee dans un traquenard a l’ambassade de France, lance un appel au cessez-le-feu. Il est desormais sous la protection de Rene Ala, l’ambassadeur de France, a Beyrouth.
    L’episode Aoun est termine.

    -Le jeudi 11 octobre 1990, a 13h55, un Hawker Hunter survola Baabda en rase-mottes. Une menace surgissait du ciel. L’avion alla virer sur la mer et repassa tres haut dans le ciel. Les servants des batteries de Baabda declencherent le feu. En vain. Les DCA de la montagne firent echo a ces salves. Ce Hawker incongru etait un presage.

    -Dans la nuit du 11 au 12 octobre 1990, Michel Aoun fait sonner le tocsin pour mobiliser les paroissiens de Baabda. Des soldats mal fagotes couraient vers leurs cantonnements. Ils etaient a peine reveilles, ils se frottaient les yeux, ils trebuchaient dans l’ombre.

    -Dans la nuit du 11 au 12 octobre 1990, un lieutenant traverse la cour en toute hate. Quand il apercu la foule, il cria dans sa direction : « Les forces speciales syriennes prennent position tout autour. Les chars n’arretent pas de monter ! ».

    -Le 12 octobre 1990, vers 5h30, un officier declare : « Il faut encore attendre une heure ou deux et nous serons fixes. Je coirs que c’est une fausse alerte ».

    -Dans l’apres-midi du 12 octobre 1990, un homme porteur d’un passeport australien sortit une arme de sa poche et tira dans la direction du general Aoun. Un soldat place en protection sur un toit fut touche par une balle et s’effondra. La foule prit peur. Aoun fut plaque face contre terre par les soldats qui l’entouraient. Mais l’homme qui avait tire etait deja desarme par les manifestants. Deux de ses amis etaient arretes en meme temps que lui. Le commando appartenait au parti Baath prosyrien. Pendant tout ce temps, les canons des Forces Libanaises grondaient de facon inquietante vers Sinn el-Fil.

    -Le soir du 12 octobre 1990, le chef du Deuxieme Bureau libanais, le general Achkar, informa Aoun que l’operation si souvent redoutee etait vraiment pour le lendemain. Il agitait la liste des officiers syriens requis pour l’assaut et ajouta que l’aviation serait de la partie.
    « Je suis un militaire. Je vous affirme que l’armee syrienne s’est disposee pour le combat, et non pour la defense ! ».

    -Le samedi 13 octobre 1990, a 6h, les troupes du general legaliste Emile Lahoud, sont sur le pied de guerre. A 7h tapantes, l’armee syrienne s’ebranlait et les chasseurs bombardiers Sukhoi deboulaient de l’horizon. A 10000 pieds, des chasseurs israeliens ne perdaient rien du spectacle. Beyrouth, avec deux epaisseurs d’avions sur la tete, succombait.
    Le raid dura 22 minutes. Les Sukhoi lancaient de leurres thermiques en meme temps qu’ils lachaient leurs bombes sur un couvent antonin, le palais de Baabda et le ministere de la Defense a Yarze. Ils viraient sur la mer et repassaient cracher leur mitraille. Le jour naissant etait plein de flammes et d’etincelles. Un epais nuage de plus de 200 metres de haut, blanc, beige et gris se forme au-dessus de Baabda. Le ciel s’obscurcit. Toutes les DCA du palais etaient entrees en action. Un Sukhoi partit en torche et s’ecrasa dans la vallee de Monteverde entre le Chouf et Beit-Mery. Puis l’armee syrienne se dechaina. L’epouvante s’etait emparee de tous ceux qui avaient passe la nuit sous les pins. Des blesses hurlaient, couches sur la terre. C’etait l’heure du sacrifice.
    Le president Elias Hraoui prevint par telephone qu’il exigeait que Michel Aoun se rende sur-le-champ a l’ambassade de France pour negocier un eventuel cessez-le-feu. Ala appela Baabda et plaida pour un cessez-le-feu. Aoun accepta, sur son insistance, de le rejoindre a la chancellerie, pour le temps de la negociation, en laissant sa famille au palais. Accompagne du colonel Lahoud, de deux capitaines, Aramouni et Phares, et de deux soldats, il grimpa dans un engin blinde M113. Le vehicule devala la cote de Baabda sous les obus. 1/2h plus tard, il se presentait a la porte de l’ambassade francaise. Pendant ce temps-la, les syriens prenaient position autour de Baabda, sans rencontrer beaucoup de resistance. Aoun etait piege.
    Pendant ce temps, les combats font rage a Souk el-Gharb, a Dahr el-Wahch, a Bsouss, a Kfarchima et un peu partout dans la banlieue Sud. Ils se prolongeront tard dans la journee. A 9h30, Aoun se rend « pour eviter un bain de sang » et demande a son armee de se placer sous les ordres du general Lahoud. A Baabda, de vieux soldats pleurent, d’autres s’insurgent. Certains commandos de la garde presidentielle ont deja quitte les lieux. Ils s’organisent pour resister dans la solitude. Le colonel Abourizk, un homme calme, fidele parmi les fideles, plonge sa tete dans ses mains quand il entend l’appel a la reddition. Il ne sort de son silence que pour repondre au telephone, dont la sonnerie ne cesse de retentir. Au bout du fil, des officiers. Ils posent tous la meme question : « Qu’est-ce qu’on fait ? ». Abourizk repond d’une voix blanche. Une immense tristesse a plombe son visage sans rides : « Vous allez recevoir vos ordres du commandement du general Lahoud ! ».
    Le colonel sursaute quand il reconnaît soudain la voix de Lahoud dans l’ecouteur : « Ici general Lahoud. J’arrive tout de suite. Les syriens ne mettront les pieds ni a Baabda ni a Yarze. Je vous en donne ma parole ». Lahoud mentait.
    Des maisons brulent. Le vent pousse des nuages de fumee. Des soldats se mettent en hate en civil. D’autres resistent. L’artillerie syrienne continue son pilonnage. Samir Geagea a donne l’ordre a ses miliciens de braquer leurs canons vers l’ambassade de France. Deux objectifs : Michel Aoun et Rene Ala, l’ambassadeur de France au Liban. A Hazmieh, le sol tremble. Une fusee GRAD tombe dans un des salons de l’ambassade. Deux gendarmes francais sont blesses. La confusion s’etend. Dans Achrafieh, les hommes de Geagea commencent a renacler. A Baabda, le colonel Abourizk prepare un dispositif de defense et fait sortir une mitrailleuse supplementaire du depot. Mais un soldat prenomme Joseph traverse les gravas en hurlant : « Les syriens sont la ! Ils sont la ! ».
    Des centaines de soldats des Forces Speciales de Hafez el-Assad progressent vers Baabda par la foret et par les immeubles Frangie, avec un armement formidable. A peine les a-t-on signales qu’ils sont la, insultant le nom du general rebelle. Deux colonnes montent par la chaussee, poussant devant elles des prisonniers.
    Les Forces Libanaises, ignorant la progression des unites syriennes, continuent de tirer vers Baabda au canon de 130, blessant plusieurs soldats syriens. Il faut que le commandant Riad, un syrien d’une quarantaine d’annees, tres calme, localise l’origine des tirs et prenne contact avec les Forces Libanaises pour que cesse le pilonnage du palais presidentiel.
    Le general syrien Ali Dib n’apparaitra que quelques heures plus tard. Vainqueur, il traite avec courtoisie le colonel vaincu qui commande alors aux troupes de Baabda, Michel Abourizk, d’autant plus que les deux hommes se sont reconnus des les premieres secondes de leur rencontre. Le hasard veut en effet que les deux officiers aient autrefois participe ensemble, jeunes lieutenants, a un stage de ski organise par l’armee libanaise a l’Ecole des Cedres, dans le Liban Nord.
    Tout de vert vetu, Ali Dib inclinera un cou epais, rose et tres plisse devant la femme du general Aoun. Statue de cire aux yeux cernes, Nadia Aoun, impavide, avait veille sur sa maison du bunker. Dans l’agitation de la victoire, les syriens etaient passes plus d’une fois devant la porte qui l’isolait, elle et ses trois filles, sans jamais l’ouvrir. Le general syrien a la reputation de bourreau, donc, s’inclina devant elle, et tint d’etranges propos : « Je m’excuse d’etre ainsi entre chez vous. Vous etes la Sainte Vierge. Je vous respecte comme si vous etiez ma mere, et vos filles sont plus que mes filles. J’admire beaucoup le general, ce soldat temeraire, et croyez-moi, j’ai souvent leve mon verre a sa sante. J’aimerais beaucoup le recevoir chez moi, a Damas, et j’irai lui rendre visite a Paris. Quel dommage qu’un homme si courageux nous ait fait la guerre ! Madame, des camions sont deja dans la cour. Je vais assurer le demenagement de vos meubles. Emportez tout ce que vous voudrez. Ou voulez-vous aller ?
    *Je n’ai besoin que de quelques affaires personnelles. J’irai a l’ambassade de France avec mes trois filles.
    *Ou vous voulez aller, vous irez ».
    Deux heures plus tard, Elie Hobeika qui avait assiste a cette scene etrange, souriant et opinant du chef aux compliments inattendus du syrien, formait un convoi de deux voitures, une BMW et une Range Rover, ou s’entasserent Nadia Aoun et ses trois filles, escortees par des miliciens de Hobeika.
    Le sac de Baabda peut commencer. Un colonel syrien, Riad Abbas, vide les tiroirs des meubles dans l’appartement de Michel Aoun. Il remplit ses poches. Le sac a main de Nadia Aoun n’echappa pas a sa convoitise. Les syriens sont animes d’une joie feroce. Ils plantent leur drapeau sur l’edifice, avant de s’attaquer au depecage des ruines. Leur fureur eclabousse ce qui fut la caverne d’un songe. Ils arrachent tout, portes ou poignees de portes, televiseurs, lampes electriques, photocopieurs, fils de rallonge, machines a ecrire, bureaux, chaises, fauteuils, armoires de fer, dossiers, livres, lampes, bibliotheques. Le butin est charge dans les camions de Ali Dib, qui partent sur-le-champ pour Damas. Elie Hobeika, de son cote, fait sortir sous sa protection le personnel de l’ancienne presidence. Quand la nuit tombe, Baabda est abandonne et desert. Il n’y a plus rien. Des syriens en goguette, l’arme a la bretelle, veillent sur les ruines de l’ancienne Maison du Peuple.
    Des officiers et des soldats, ici et la, se battent encore. Par espoir, par desespoir, par dignite, par fureur. Ils attendaient les brigades de Lahoud et ce sont partout les syriens qui s’avancent. Les hommes de Aoun se cabrent et se harnachent pour le combat. Ces poches de resistance infligent de lourdes pertes a l’ennemi, qui ne fait pas de quartier. Les libanais prisonniers sont entraves et tortures sur le champ de bataille. Avant de les achever d’une balle dans la tete, les syriens leur tracent a la baionnette ou au pistolet une croix sur la poitrine. Au nom du Pere, et du Fils, et du Saint Esprit, Amen. La legende s’est deja emparee de la mort heroique des soldats de Dahr el-Wahch. Les faits pourtant sont exacts. Encercles, ils ont agite des drapeaux blancs et simule leur reddition. Quand les officiers syriens se sont approches d’eux, ils ont ete pris sous le feu de ceux qu’ils croyaient deja tenir. Le nombre des morts syriens aurait ete considerable. Il n’y a pas eu de survivants dans les rangs libanais.
    A l’ambassade de France Rene Ala pleurait et Francois Mitterrand telephonait a Michel Aoun. Pour lui dire quoi ?
    La botte syrienne foulait la terre libanaise. Elle imprimait sa marque. Le Pere Joseph Mouannes et Monseigneur Abou Jaoude ont dresse un constat de ces empruntes sanglantes. En voici des extraits : « Eglises, hopitaux, ecoles, usines ont ete sauvagement bombardes. Ainsi, l’eglise et les maisons de Douar ; bilan : 5 morts, dont un jeune couple, des femmes, des malades, et 32 blesses. Le village de Dahr el-Souwan ravage, et un Pere francais tue par un eclat d’obus dans le college des Peres Lazaristes a Bhersaf, Bickfaya. Le college des Sœurs de la Sainte –Famille a ete ravage. L’eglise de Sakiet el-Misk a eu les memes degats. Le tombeau de Pierre et Bechir Gemayel, anciens presidents de la Republique, fut profane.
    Le college de la Sainte Famille a Fanar a ete ravage. Le college Mar Doumit Roumieh a eu le meme sort. Le college Ain Najem des Sœurs du Sacre Cœur ravage par 126 obus de gros calibre. Le monastere Deir el-Kalaa a vu deux moines antonins executes. L’un etait musicien, l’autre un savant theologien.
    Des soldats qui s’etaient rendus ont ete abattus d’une balle dans le front. Le college de Notre Dame du Rosaire a ete atteint par plusieurs obus. Le college des Peres Jesuites de Jamhour a ete bombarde sauvagement et toutes les classes endommagees. Les Peres ont cache leurs autocars dans l’eglise de peur que les soldats syriens ne les voient. Mais l’eglise du college a ete atteinte par plusieurs obus. Plusieurs autocars ont brule. A l’hopital de Baabda, l’odeur des cadavres remplit tout le coin. L’imprimerie des Peres Jesuites, l’une des plus historiques et des plus prestigieuses de l’Orient, fut saccagee et pillee sous les yeux des Peres. La destruction de cette imprimerie est une grande perte pour toute l’Eglise de l’Orient arabe. La publication de la derniere Bible en arabe est un tresor pour l’humanite et l’Eglise d’Orient.
    Dans le village de Bsous, 14 civils ont ete abattus froidement devant leurs portes.
    A Hadeth, vols, viols, massacres.
    Le ministere de la Defense a Yarze a ete pille par les syriens. Des soldats et des officiers ont ete deshabilles et contraints a marcher nus ou a ramper, avec leurs chaussures a la bouche.
    Devant ce calvaire, nous proclamons notre foi et affirmons que notre Dieu est vivant. Nous serons toujours les temoins de la chretiente et de la liberte en Orient.
    Le soir meme, une conversation a lieu entre Hraoui et Assad.
    Le president Hraoui raccroche le combine du telephone en soupirant. Il savait maintenant qu’il fallait reunir le gouvernement pour decider de la mise en accusation de Michel Aoun. Il pensa que ce rebondissement n’allait pas arranger ses relations avec l’ambassadeur de France. Il avait en effet promis a Rene Ala, le matin meme, qu’il ne s’opposerait pas au depart de Aoun pour la France. Elias Hraoui se tourna vers ceux de ses ministres presents dans son bureau et leur dit : « On a encore du travail. L’affaire Aoun n’est pas reglee ».

    -Le dimance 14 octobre 1990 au matin, Rene Ala donna des ordres au personnel de l’ambassade pour le diner, dont il avait minutieusement prepare le menu la veille avec sa femme, Jamie. La precipitation des evenements et plusieurs nuits blanches n’avaient pas eu raison de son energie. Mais il etait livide. Georges Tannous, le maitre d’hotel, s’en fit la remarque en lui servant une tasse de cafe. Le visage fievreux et depouille de l’ambassadeur lui souriait : « Ce soir, j’aimerais que tout soit parfait.
    *J’ai peur qu’il manque des choses en cuisine…le blocus…les bombardements d’hier.
    *Je n’ai pas besoin de Joseph ce matin. Il n’a qu’a prendre la voiture. Il se debrouillera. Pour le saumon, qu’il aille a l’Ouest ».

    Le soir venu, les pensionnaires forces de l’ambassade quitterent leur chambre pour aller diner. Tous les generaux, Aoun, Abou Jamra, Maalouf, leurs femmes et leurs enfants, l’aide de camp, le colonel Lahoud et les autres officiers presents portaient des masques de deuil. Nicolas Aramouni, un homme encore jeune a la gaiete lymphatique, amateur de femmes et de cigares et recemment promu capitaine, etait aussi vert que son uniforme. Les filles de Michel Aoun avaient le visage couvert de larmes. Le general passe devant le salon detruit la veille par l’explosion d’une fusee GRAD et decouvrit, avec un mouvement de recul, la table qui attendait les proscrits. Michel Aoun, avant d’etre mis au ban de la societe internationale apres les Accords de Taef, avait ete a diverses reprises l’hote de l’ambassade. Mais il avait perdu le souvenir d’une reception preparee avec un tel soin. Le couvert, dresse a la francaise, vaisselle de Sevres, verres de Saint Louis, lui parut superbe. Sa femme Nadia se pencha pour lui parler a l’oreille. Le couple reprit contenance. Michel Aoun quitta la piece pour revenir quelques instants plus tard cravate et vetu de bleu. L’ambassadeur et sa femme n’avaient cesse de parler. Ils redoutaient les silences et s’infligeaient de sourire.
    Quand le maitre d’hotel s’approcha pour servir le champagne, Michel Aoun se raidit dans les effets civils qu’il portait si mal : « Est-ce un jour a boire du champagne, monsieur l’ambassadeur ? ».
    Rene Ala attendait cette question. Il sourit :
    « Mon general, malgre le cauchemar des journees qui viennent de s’ecouler, j’ai deux bonnes nouvelles a vous annoncer… On m’avait communique vendredi les resultats du bac franvais de Beyrouth. Je n’avais pas eu le temps d’en prendre connaissance. Mais depuis hier, je sais que vos deux filles ont reussi ». Puis l’ambassadeur se tourna vers le general Abou Jamra :
    « Rejouissez-vous, vous aussi. Votre fils appartient au nombre des laureats. Je bois a leur succes a tous les trois ». Rene Ala porta son verre a sa bouche.
    Michel Aoun plongea machinalement sa main dans sa poche. Il y trouve un livre miniature, publie pour le bicentenaire de la Revolution francaise. Ses yeux cernes s’agrandirent. Il demanda a Rene Ala la permission de porter a la connaissance de leur petite assemblee la teneur de ce qu’il venait de decouvrir : « Les hommes naissent libres et egaux en droit… Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont : la liberte, la propriete, la surete et la resistance a l’oppression ». Une delegation francaise lui avait remis quelques mois auparavant ce texte de la Declaration des droits de l’homme, oublie depuis dans la poche d’un vieux costume qu’il n’avait jamais eu l’occasion de porter dans le bunker de Baabda.
    Baabda, Baabda. Comme tout lui paraissait loin maintenant. Il pensait a ces hommes arretes, tortures ou tues, aux civils en fuite, aux cadavres qui jalonnaient la route du vainqueur, a la defaite des idees qui l’avaient anime. Il pensait a son peuple d’agneaux et au cheval rouge de l’Apocalypse.
    La nuit entrait dans le salon par les portes-fenetres ouvertes sur le jardin. La lune eclairait les toits d’une ville muette. Beyrouth etait un cimetiere. Aoun reprit sa lecture : « …liberte…resistance a l’oppression… ». Le petit cercle des vaincus s’etait resserre autour de lui. Chacun ressentait l’implacable puissance des mots. Les paroles de Aoun, sa lente evolution, soudain sereine, l’aventure de ce texte deniche par hasard au fond d’une poche bouleversaient Rene Ala. Chaque syllabe s’imprimait dans a propre chair. Et pourtant, ces mots qui formaient l’aerienne charpente des songes de tout un peuple avaient ete vaincus, foules aux pieds et emportes par des jets de sang.
    Une des filles de Michel Aoun s’effondra. Son pere lui dit d’un trait : « Ne pleure pas. J’ai tout fait pour que ce pays soit libre. Certains libanais n’ont pas voulu de cette liberte. L’avenir nous donnera raison… ».
    Puis ils passerent a table.
    Tous s’appliquerent a faire honneur aux plats, meme si personne n’avait beaucoup d’appetit. L’ambassadeur, de son cote, s’obligea a traiter le general comme un hote de marque. Ni lui ni sa femme ne relacherent jamais leurs efforts pour que cette soiree garde d’aimables apparences. Parfois le telephone sonnait. Un correspondant transmettait des informations urgentes qui meritaient de deranger l’ambassadeur.

    -Sur le front. Janvier 1988. L’hiver fondait. Autour des maisons abandonnees, les chemins ne menaient qu’a des ruines. Dans les fosses, les engins blindes prenaient la route en enfilade. Des soldats dormaient dans des maisons ou sous des abris de tole. D’autres pataugeaient dans une neige boueuse. Trois hommes, assis a croupetons autour d’un feu, parlaient de leur village, dans la Bekaa. Un peu plus loin, un bucheron en kaki maniait la hache.
    Un capitaine etendit la main : « Regarde, ces uniformes, juste en face de nous, tu vois, ce sont des syriens ! ». La guerre et le froid avaient desole ces cretes civilisees. L’armee libanaise et l’armee syrienne comptaient au coude a coude. Les syriens tenaient les hauteurs. Leurs unites cantonnaient dans des couvents solitaires, au crepin dore, ou dans de vieilles chapelles en forme de croix latines. L’agitation minuscule qui traversait les fourres, a moins de 60 metres du petit groupe, c’etait eux. Des combats avaient enflamme ces hauteurs de Beyrouth en 1986, apres qu’Amine Gemayel eut refuse d’offrir a Assad l’accord tripartite qu’il lui reclamait. Les syriens avaient tente de s’emparer de tous ces villages, transformes en bonne frontiere. A Douar, les miliciens phalangistes avaient resiste, maison par maison. La population etait rentree chez elle apres les combats. Seul le cure avait deserte. Depuis, le front etait gele a la sortie du pays. 300 soldats de l’armee libanaise cohabitaient avec les villageois. 10 mariages avaient ete celebres depuis le retour au calme. Le village empruntait pour chaque ceremonie le moine d’un couvent voisin.

    -A Hazmieh. Janvier 1988. Des soldats m’avaient montre l’endroit ou fut abattu le colonbel Gouttiere, en septembre 1986.

    -Le lieutenant qui me guide m’emmene saluer sa section, au repos dans l’obscurite d’un cantonnement, a l’abri des sacs de sable. Des hommes dorment, d’autres revent. Un barbu de 20 ans ecrit. Il tient son cahier sur ses genoux. Pour qui sont ces poemes ? Pour sa fiancee ? Il rit : « Non, j’ecris des vers patriotiques ». Des bandes de cartouches 12.7 sechent sur le sol. La pluie du matin a tout detrempe. Les soldats ont les yeux rouges de fatigue. La jeep reprend sa ronde. Le lieutenant me tend la parka d’un treillis. Raidillons, bosses, tranchees, petits ravins ; la jeep avale tous les accidents du terrain. Le lieutenant allume une cigarette. Il montre du doigt les positions syriennes. « Ici, pres de ce toit rouge… a 300 metres… la bas, derriere cet arbre, des chars… De temps en temps, une rafale s’echappe de ces points a la fois proches et lointains et nous force a nous mettre a l’abri. Le cessez-le-feu n’est jamais parfait sur le front. D’un cote comme de l’autre, on tire des qu’on apercoit une agitation inacoutumee. Nous roulons maintenant sur un chemin de crete. Je reconnais des lieux que j’avais vus de nuit en avril dernier. Ici meme, dans une ferme aux defenses renforcees, en premiere ligne, nous avions pendant plusieurs heures parle avec des soldats. La flamme d’une bougie eclairait la ronde de 15 visages. Ces garcons –le plus age avait 22 ans –tenaient le front depuis longtemps. Les bombardements, les replis dans les abris, les tirs de contre-batterie, les rondes et les permissions dans leurs villages, voila tout ce qu’ils savaient de la vie. Boutros, le sergent, cheveux courts, barbe epaisse, regard pacifique, avait parle de chacun de ses hommes, musulmans et chretiens. Question : « Que pensez-vous de Aoun ? » Reponse : « On se bat depuis longtemps. Il est souvent arrive qu’on ne sache pas pourquoi, le general Aoun nous a mis les idees en place. Il nous a fixe un but : notre independance. Dites bien que nous ne defendons pas le reduit chretien, mais tout le Liban ».

    -A Baabda, des soldats veillent sur des lits de camp, tout habilles, avec leur ZIC ou leur Kalachnikov dans les bras.

    -En 1975, le 13 avril, apres les tragiques incidents de Ain el-Remmaneh, Bechir Gemayel avait entendu son pere, Pierre, supplier le president de la Republique, le commandant en chef de l’armee, le chef du Deuxieme Bureau, de faire intervenir l’armee pour obliger les palestiniens a respecter la loi. Tous ces importants personnages avaient refuse. Bechir dira au Pere Selim Abou : « J’ai aussitôt compris, et d’autres jeunes gens avec moi, que l’armee n’etait pas capable d’assurer notre securite ».

    -En 1988, l’arrivee de Aoun et la restauration de l’armee privent les Forces Libanaises de raisons d’exister, et mettent en lumiere leurs facheuses faiblesses.

    -Les Forces Libanaises passerent a l’attaque dans les premieres semaines de l’annee 1990. La guerre fut atroce. La haine des miliciens contre le peuple se dechaina. Des unites de Aoun furent piegees comme des enfants de chœurs. Aoun fut battu puisqu’il ne gagna pas. Il perdit beaucoup. Prive d’acces a la mer, il vit son territoire se retrecir.

    -Les semaines suivant le 13 octobre 1990, a Batroun, pour l’enterrement des soldats de Aoun, les paroissiens chasserent le pretre venu celebrer l’office des morts et appelerent un cheikh pour reciter des prieres au nom d’Allah.


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  • Les paris du general ; FMA :

    -Le 13 octobre 1990, les Sukhoi de l’aviation syrienne piquent sur le palais presidentiel de Baabda, ou est retranche le general Michel Aoun. Ce dernier trouve refuge a l’ambassade de France.

    -13 aout 1989 : Souk el-Gharb.
    4h du matin. Un long mugissement rompt le silence, suivi d’une deflagration qui projette les soldats a terre. Un obus de 180 vient de s’ecraser sur la route devant l’hotel Kamel, celle qui mene a la Qalaa -la citadelle -, sur la droite. Les gerbes de gravillons et d’eclats de fer soulevees par l’impact sont a peine retombees sur le sol, arrosant les alentours dans un redoutable cliquetis metallique, qu’un grondement sourd, comme un tremblement souterrain, ebranla la colline.
    Simultanement, les batteries syriennes et les canons du PSP installes dans le Chouf en face, a Aley et Bhamdoun sur la gauche, a Aitate dans le dos, a Mtoll Chemlane sur la laterale droite, ont crache le feu et une pluie d’obus de mortier et de canons de tous calibres s’abat sur les postes militaires, les lignes avancees des collines 888 et du Prince, Kors el-Medawar, la citadelle de Kayfoun, les batisses ecroulees et les facades eventrees du quartier des hotels, le palais Adm, la villa Salam, le college de Souk el-Gharb en contrebas, a 150 metres de la citadelle, le cimetiere et les abattoirs, l’ecole palestinienne derriere les hotels, le PC avance de la 10e Brigade a l’hotel Hajjar, les routes et les nœuds de communication qui menent a Souk el-Gharb.
    Reveilles en sursaut, les soldats ont juste le temps de se terrer dans les tranchees dans un concert de jurons. Un obus de 122 defonce le mur de soutenement de la villa voisine, plus exactement de ce qui fut jadis une villa. Un mortier de 160 fraie brusquement son chemin a travers les combles de la villa du Prince, et explose dans une piece contigue. L’odeur acre de la poudre prend les hommes a la gorge.
    De la colline du Prince a la colline 888, a peine 150 metres. Mais sous les coups de mortier et les tirs directs d’artillerie qui pleuvent des positions syriennes dans la montagne par vagues successives, sous les fusees RPG tirees par les miliciens druzes du PSP postes sur l’autre versant de la colline 888, a 20 metres des lignes de l’armee, c’est une eternite qui separe les deux promontoires rocheux, tenus conjointement par la 103e et par une petite unite de la 3e Compagnie des berets rouges.
    Les bouches de feu des syriens et de leurs allies eructent leurs projectiles a une cadence infernale.
    Cela fait trois jours que le cauchemar dure. La 10e Brigade est arrivee a Souk el-Gharb le 8 aout 1989, presque 5 mois apres le declenchement par le general Michel Aoun de la guerre de Liberation contre l’occupant syrien. Objectif : relever la 8e, qui tient cette ligne de front du pays chretien depuis 11 mois et qui compte dans ses rangs 250 blesses et une vingtaine de morts. Considerant que la periode juin -juillet -aout est une saison de tractations politiques et de decompression militaire, le commandement de l’armee a estime qu’il fallait en profiter pour reposer cette brigade d’elite, ancienne unite du general Michel Aoun lui-meme, aguerrie par pres d’un an d’accrochages reguliers avec les elements du PSP de Walid Joumblatt. Mauvais calcul.
    Le 8 aout, le general Makhoul Hakmeh, nouvellement designe a la tete de la 10e Brigade, dont le commandant etait tombe gravement malade, recoit donc la mission de prendre en charge le front de Souk el-Gharb qui s’etend sur 8 a 10 Km, d’Aley a Choueifate. C’est un homme probe et batailleur, mais qui n’a jamais mis le pied sur son nouveau theatre d’operations. Il espere neanmoins qu’en une quinzaine de jours, il se sera familiarise avec le front, grace aux indications des petites unites que la 8e Brigade a laissees la -haut pour seconder sa troupe et faciliter son deploiement pendant la periode de releve.
    Borde, d’un cote, des collines 888 et Kors el-Medawar et, de l’autre, de l’avancee pittoresque de ce qu’on appelle la citadelle jusqu’aux abords du village de Kayfoun, Souk el-Gharb culmine a la colline dite du Prince, position cle surplombant la zone des hotels (hotels Sursock, Kamel, Farouk, Hajjar, villa Assaf, palais Adm,…).
    De la, le pays chretien se deploie a perte de vue, dos a la mer, et par beau temps, l’on peut voir le fin lisere d’ecume ourler les regions cotieres allant de Khalde et du perimetre de l’AIB jusqu'à Jbeil. A droite de Souk el-Gharb, le Mont Sannine, les hauteurs boisees du Metn et la colline de Monteverde ; en contrebas, le college des peres jesuites a Jamhour et la coupole de son eglise. Le palais presidentiel de Baabda est a 300 metres a vol d’oiseau, cache par la courbe d’une colline. La route en lacets qui monte de Baabda a Souk el-Gharb s’offre de bout en bout, presque sans pudeur, au regard et au feu de l’ennemi, installe sur les hauteurs de Mtoll Chemlane et d’Aley, de meme que sur la butte redoutable de Choueifate, veritable cheval de Troie dans le dispositif militaire du pays chretien, au Sud Ouest des lignes de Souk el-Gharb.
    En termes strategiques, l’ensemble de la region ressemble a un amphitheatre dont Souk el-Gharb est le centre. De ce fait, cette localite surelevee est exposee de tous cotes aux tirs directs des canons de chars et de l’artillerie : a partir d’Aley et de Mansouriet Bhamdoun a l’Est, de Mtoll Chemlane, Borj el-Ali et Bir el-Cheikh Aref au Sud. Souk el-Gharb est une position cernee de toutes parts ; elle constitue le passage oblige vers le pays chretien de ce cote -ci du front. La colline du Prince est l’epine dorsale de la defense de ce verrou montagneux. Entre elle et les hotels legerement en retrait au cœur du village, une route sinueuse, etroite, mene a la citadelle. Elle s’enfonce comme un doigt dans le territoire ennemi, a la lisiere de Kayfoun. Aussi, la citadelle n’est-elle reliee a Souk el-Gharb que par une bande de terre, ou l’on est a decouvert sur 200 metres, menant jusqu'à l’hotel Sursock.
    Avec la guerre de Liberation, des le mois de mars 1989, il est devenu particulierement difficile et perilleux de circuler dans le village. Les bombardements permanents ont detruit les rares immeubles encore debout et devoile les voies de communication militaires. Des pates entiers de maisons affaissees sur leurs fondations, des ruelles crevassees sont devenues des killing zones ou tout mouvement, aussitôt repere, est cible au canon de mortier et aux lance-roquettes par les miliciens druzes du PSP et les palestiniens d’Abou Moussa, postes soit a Aitate, en contrebas, soit sur la crete de Mtoll Chemlane.
    La releve, entre le 6 et le 8 aout, se deroule sans accroc. Pas un coup de feu ne vient perturber l’operation de desengagement de la 8e Brigade et son remplacement par la 10e Brigade, la brigade heliportee. Sous un soleil de plomb dans le ciel d’ete, l’armee syrienne et ses allies palestiniens et du PSP observent avec attention, des contreforts de Choueifate, de Mtoll Chemlane, de Bhamdoun, d’Aley, les mouvements de troupes des deux brigades qui se relaient. Mais ils se tiennent cois.
    Cela fait un mois en effet qu’ils attendent cet instant, apres avoir eu vent d’un prochain depart de la 8e Brigade que commande le colonel Selim Kallas, valeureux et incorruptible officier grec -catholique originaire de la region de Baalbeck, considere comme le bras droit du general Michel Aoun. Sous l’impulsion et la direction de cet homme a l’allure fiere et decidee, au visage serein, a la bouche volontaire, au regard incisif couleur miel, le tout coiffe de cheveux clairs, le rire impetueux, la poignee de main energique et franche, les berets noirs de la 8e Brigade sont devenus les specialistes du front de Souk el-Gharb, rompus aux manœuvres et au combat sur ce terrain accidente et rocailleux. Tant qu’ils sont la, les formations prosyriennes, druzes et palestino -progressistes, ne peuvent esperer operer de percee. Aussi, jubilent-elles en apprenant, au debut d’aout, que le remplacement de la 8e Brigade aura lieu aux alentours du 10. Dix jours pour se preparer ! L’occasion est trop belle. Avec la cooperation d’officiers de l’etat-major syrien, les hommes de Walid Joumblatt et d’Abou Moussa peaufinent les details de leur plan. Ils ne veulent pas laisser le temps au general Hakmeh de s’acclimater et d’installer son dispositif de combat. Il ne le faut pas. Certes la 10e Brigade a deja l’experience de cette ligne avancee du pays chretien, mais elle a passe de longs mois loin de Souk el-Gharb et ne connaît pas les changements geostrategiques intervenus sur le terrain.
    Pour donner le change, l’arrivee des berets verts -c’est la couleur des berets des hommes de la 10e Brigade -dans la region est saluee par la radio de Joumblatt comme l’indice d’une ere de calme et de bon voisinage. Les hommes de la 10e Brigade ont eux-memes le sentiment que si l’unite belliqueuse, la 8e Brigade, leur cede la place a Souk el-Gharb, c’est que ce front est en voie de refroidissement. Aux yeux de beaucoup, une periode de detente s’amorce donc sur la ligne rouge. Le Liban se trouve, d’ailleurs, alors en pleine phase de contacts politico -diplomatiques tous azimuts et la 10e Brigade peut croire que ses relations avec les belligerants d’en face seront moins explosives que celles de la 8e Brigade.
    Il est 10h30, le jeudi 10 aout 1989. La journee s’annonce belle et ensoleillee. Tout d’un coup, les bombardements commencent. Avec une densite et une violence inhabituelles. Les syriens, pourtant, ont inonde les regions chretiennes de leurs obus, durant les cinq derniers mois. Mais jamais autant. Cette fois, c’est different.
    Sans repit, orgues de Staline, batteries et chars de l’ennemi se dechainent sur toute l’enclave chretienne. Jour et nuit, des cascades de tonnerre et d’eclairs vont debouler du Haut Metn, de la Bekaa, du Chouf, sur Beyrouth et sa banlieue, sur la route cotiere, sur le petit port de Jounieh et, bien sur, sur Baabda et le siege de la Defense a Yarze, a certains moments au rythme effrene de 5 obus a la seconde. A Souk el-Gharb, les hommes de la 10e Brigade, copieusement arroses, ne peuvent que se planquer dans leurs abris fortifies et derriere les remparts de terre. Ils sont pris de court, n’ayant pas encore eu le temps de s’installer, de parfaire leur logistique, d’organiser leurs voies de liaison, leurs lignes telephoniques, l’electricite, le materiel radio de communication. Ni meme de s’habituer a leur nouveau commandant.
    A la date du 10 aout 1989, le dispositif de l’armee libanaise que commande le general Aoun sur les differents fronts est le suivant :
    *La 10e Brigade est deployee tout le long de la ligne frontale de Souk el-Gharb, la FEBA (Elements avances de la zone de combat : en d’autres termes, la ligne la plus avancee du front), qui s’etend sur une dizaine de Km.
    *Le 101e Bataillon d’Infanterie occupe la citadelle ou Qalaat el-Hosn, a l’extreme Sud du mamelon rocheux, et les postes Assaad I et Assaad II, sur la pente declive du cote gauche. Les miliciens du PSP sont en face, dans les premieres constructions a la lisiere du village de Kayfoun, et notamment dans l’immeuble Khaffan, a 25 metres de la citadelle. De meme, le 101e occupe toutes les denivellations du terrain qui descend en pente jusqu’au village de Bsaba (non compris) et que la troupe a baptisees Kassarat (carrieres) en les numerotant (des sentiers militaires tailles a flanc de coteau).
    *Le 102e Bataillon est poste sur la ligne Monteverde -Dahr el-Wahch -Bsous, le Metn etant strategiquement lie a Souk el-Gharb. Quelques elements de ce bataillon se trouvent dans le college de Souk el-Gharb, a 100 metres environ derriere les postes Assaad I et II, au-dessus du val, mais ils sont sous le commandement du 103e.
    *Le 103e Bataillon precisement assume la defense de la ligne allant de Komatiyeh -Ain el-Sayde -Ain el-Remmaneh aux collines 888 (dont la moitie est aux mains des miliciens du PSP), Kors el-Medawar et du Prince, ainsi que des abattoirs et du cimetiere, en contrebas. Une petite unite de la 3e Compagnie de commandos se trouve la aussi, en premiere ligne.
    *Le 104e Bataillon, enfin, a installe ses chars au centre du dispositif, en appui direct des unites d’infanterie.
    *Face a la butte de Choyeifate ou trone l’ecole Charlie Saad, occupee par le PSP et les palestiniens d’Abou Moussa, une compagnie d’infanterie de la 8e Brigade, la 822, tient la ligne Bsaba -Kfarchima, qui est le pendant de la ligne Maaroufiye -Choueifate, ou se deploie l’adversaire. Mais le gros de la 8e, en reserve, est cantonne dans le Metn Nord. Ses unites sont dispersees entre Tall el-Zaatar, Fanar, Bickfaya, Dahr el-Souan, Beit-Chaar, Rabyeh, Beit-Mery.
    *Au cœur de Souk el-Gharb, l’hotel Hajjar est le siege du poste de commandement (PC) avance de la 10e Brigade.
    *Le front du Metn Nord (Douar -Baskinta) est tenu par la 5e Brigade.
    *Le front de Beyrouth, dont la ligne de demarcation de Ras el-Nabeh, est tenu par la 9e Brigade.

    Le vendredi 11 aout 1989, les bombardements se poursuivent et prennent l’allure d’un matraquage systematique de chaque pouce des regions chretiennes. Les positions de l’armee, ses PC, son artillerie, ses voies de communication et de ravitaillement -mais aussi les agglomerations civiles et les quartiers residentiels -, tout est indistinctement soumis au feu intensif et meurtrier des canons syriens, notamment des ravageurs mortiers de 240 mm. La logistique de l’armee libanaise s’en trouve desorganisee.
    A Souk el-Gharb, derriere leurs parapets ou dans les bunkers creuses sous les monticules de terre, berets verts et berets rouges s’aplatissent au sol. Les tirs de contre batteries des 55e et 105e Regiments d’Artillerie et les orgues de Staline de l’armee libanaise detruisent, certes, plusieurs pieces syriennes qui tirent a partir de la plaine de la Bekaa, a plus de 30 Km de la. Mais le rapport de force est de 6 canons syriens et prosyriens pour un libanais.
    Samedi 12 aout 1989. Deux MIG syriens ont strie le bleu intense du ciel et survolent le pays chretien a basse altitude. Soldats et officiers sont sideres. Une meme apprehension les etreint. Jusque-la, l’espace aerien libanais etait considere comme une chasse gardee israelienne, une ligne rouge en quelque sorte. Hafez el-Assad aurait-il obtenu l’aval de Tel-Aviv pour utiliser son aviation contre l’armee libanaise ? Pas le temps de reflechir, et d’ailleurs les avions syriens n’interviennent pas, ni ne reviendront ; pas cette fois…Des salves de RPG-7 et de mitrailleuses MAG viennent d’eclater sur la gauche, aussitôt suivies de decharges de B-10 et de DCA de 23 mm.
    Le 102e est coince. Les syriens ont brusquement accentue leur pression sur le front de Dahr el-Wahch. Les canons de chars et l’artillerie de 122 et 130 mm sont entres en action, detruisant un transport de troupes M113 et terrassant les fortifications de l’armee. Sur la route qui descend d’Aley, des T-55 et BMP21 du PSP foncent vers Dahr el-Wahch, sur les positions de l’armee libanaise, couverts par un mur de feu. Les hommes du 102e se battent avec acharnement, mais les 106 mm, les bitubes sovietiques de 23 mm et les chars M-48 du 104e Bataillon ne parviennent pas a stopper les blindes. Dans une des positions avancees, un soldat s’ecroule tue net par l’eclat d’un obus ; un autre s’affaisse, blesse. La situation est critique.
    Au PC de l’hotel Hajjar, la salle d’operations du commandement de l’armee est en ligne. « Il faut nous depecher des renforts », demande le capitaine Habib. A 11h, une compagnie de chars de la 8e Brigade debarque a Deir el-Qalaa (Beit-Mery) et a Jamhour. Elle prend position sur les collines en arriere-plan de Dahr el-Wahch (l’axe Deir el-Qalaa -Jamhour est strategique pour la defense de Souk el-Gharb). Sa mission est de disperser le feu des assaillants vers l’interieur, afin de relacher la pression exercee sur les premieres lignes. Avec le 104e Bataillon de chars de la 10e Brigade, la compagnie parvient a bloquer puis a repousser l’attaque syrienne, apres 2h de duels d’artillerie aux canons de 130 et 155 mm. Peu a peu, l’intensite des tirs diminue. A 15h, le front de Dahr el-Wahch se stabilise. L’alerte aura ete chaude.
    16h30. Le calme apres l’orage, ponctue de rafales d’armes automatiques et de quelques chutes d’obus de mortier.
    Tout autour, les obus de canon et de mortier ont creuse des rigoles dans la terre. L’apres-midi est consacre au bilan, aux fortifications, aux reparations du materiel endommage, aux soins prodigues aux blesses.
    La nuit s’annonce paisible. Dans la salle d’operations de l’armee libanaise, une poignee d’officiers discutent ferme. Le general Aoun est entre en contact avec eux tout a l’heure. Il est soucieux : « Les syriens, leur a-t-il dit, pourraient preparer un assaut contre Souk el-Gharb. Il faudrait les occuper cette nuit ». Son idee est d’appliquer le plan de « tirs d’anticipation contre les positions de l’ennemi » autour de cette localite : tirs de contre-batteries et de harcelement visant toute l’artillerie syrienne et prosyrienne dans la region, et tirs d’interdiction sur les routes et lignes de communications et de rassemblement des troupes adverses. Exactement comme le 27 mars dernier, 13 jours apres le declenchement de la guerre de Liberation : l’armee avait alors bombarde, a partir de 20h30, toutes les positions d’artillerie des syriens et de leurs allies dans le Chouf, loin du front, sans crier gare. Cela avait permis de faire avorter l’attaque qui s’esquissait deja alors contre Souk el-Gharb.
    Les generaux jugent, cependant, qu’il serait bon, cette fois, de garder le front endormi. Dans la salle d’operations du QG de l’armee, on tombe d’accord pour laisser les artilleurs se reposer, apres 60h de bombardements sans relache. Cette guerre, pense-t-on, est une guerre de positions, centree sur des duels d’artillerie, non une guerre d’usure, l’essentiel consiste a tenir le coup et il faut donc profiter de chaque accalmie, pense-t-on a l’etat-major. Aussi, en cette nuit du 12 aout, la salle d’operations ignore-t-elle les directives du general Aoun.
    Dimanche 13 aout 1989.
    Les habitants d’Achrafieh, la colline du quartier chretien de Beyrouth, retiennent leur souffle. Depuis 7h30, le crepitement des fusils mitrailleurs et les deflagrations secouent la ligne de demarcation qui divise la capitale en deux. Les beyrouthins, qui avaient profite d’une nuit paisible pour sortir des abris et reintegrer leurs appartements, en sont quittes pour un nouveau plongeon sous terre, au saut du lit. L’oreille devenue experte, ils sont conscients, tout civils qu’ils soient, qu’il se passe quelque chose d’inhabituel ce jour-la au petit matin. A la localisation des fusillades et de la canonnade du cote de la ligne Musee -Ras el-Nabeh, a la densite des tirs d’armes automatiques, a la nature des calibres utilises -lance-roquettes et fusils d’assaut, appuyes par les chars AML-90 -ils devinent des combats furieux, un face-a-face a quelques metres de distance seulement.
    Au QG de l’armee, c’est l’effervescence. « Les milices prosyriennes essaient de percer a Beyrouth, a partir de Ras el-Nabeh ». Il est presque 8h. Dans le Metn, le premier groupement tactique de la 8e Brigade, compose d’un bataillon d’infanterie et d’une compagnie de chars, le 83e Bataillon est en etat d’alerte, prêt a intervenir.
    Ainsi le Deuxieme Bureau avait vu juste. Il avait indique qu’une attaque d’envergure se preparait sur le front de Beyrouth, plus precisement sur la ligne de demarcation, entre Ras el-Nabeh et le Musee, dont l’objectif serait de tenter une percee. Depuis lors, la 9e Brigade, qui tient cette ligne du pays chretien, se preparait au choc.
    Tandis que tous les regards sont tournes vers le front d’Achrafieh -Ras el-Nabeh ou l’assaut, mene par des hommes d’Elie Hobeika, l’ancien chef de la milice chretienne rallie a Damas apres son eviction, des palestiniens et des miliciens du parti progressiste, est contenu, Souk el-Gharb brule depuis 6h. Les hommes de la 10e ne peuvent mettre le nez hors des blockhaus en argile et des excavations ou ils s’abritent. Dans tout le reste du reduit chretien, au demeurant, de Baabda a Jbeil, c’est l’embrasement.
    9h05, du cote de la Qalaa de Kayfoun. Le lieutenant Youssef, du 101e Bataillon, est intrigue. Depuis 5 bonnes minutes, les obus ont cesse de pleuvoir sur la citadelle et tout autour. Par contre, il lui semble que le pilonnage s’est accentue a l’interieur de Souk el-Gharb. L’air est charge de fumee, de poudre, de relents de metal et de bois brules. Il redresse la tete. Non loin de lui, deux de ses hommes emergent de derriere leurs remparts de sable. Ponctuees de tirs de RPG, des fusillades a la Kalachnikov eclatent en amont. « Suivez moi », dit-il, et il s’enfonce dans le dedale de tranchees et de boyaux qui jalonnent le terrain et conduisent a la citadelle et aux postes Assaad I et II. Un silence oppressant succede aux rafales, malgre le roulement sourd des explosions a l’arriere. On ne voit pas a 5 metres devant soi.
    Du brouillard anthracite qui baigne les lieux se detache la silhouette d’un combattant arme du PKS sovietique, la plus redoutable des armes legeres. Bientôt suivie de trois autres. Puis d’autres encore, qui arrivent en se faufilant adroitement entre les courbes et les lignes sinueuses du terrain, bardees de munitions.
    « Ce sont les druzes, mon lieutenant ». Ceux-ci, de leur cote, les ont vus. Ils devoilent alors des lance-flammes. Les trois soldats libanais ont juste le temps de lacher quelques coups de LAW avant de se replier precipitemment. La poursuite s’engage dans le labyrinthe tortueux des tranchees autour de la citadelle. Esquivant les tirs en enfilade des assaillants, le petit groupe se refugie dans un immeuble verole en retrait. Derriere les murs dechiquetes, les trois rescapes ne pensent plus qu’a survivre. Pour cela, il leur faut resister, par tous les moyens, s’embusquer derriere un creneau et tirer, empecher l’adversaire de penetrer dans l’immeuble, de progresser davantage. Le lieutenant organise la resistance : apparaître a une fenetre, lancer une grenade, tirer dans le tas a la mitrailleuse. Cinq ou six cadavres gisent deja a quelques metres du batiment ou les trois hommes du 101e se sont retranches. Mais Youssef se rend compte qu’il va etre submerge par le nombre.
    Surtout ne pas se laisser gagner par la panique.
    Youssef aligne ses munitions a cote de lui. Il sait que, de la ou il se trouve avec ses deux hommes, il pourra retarder l’avance des miliciens sur le front, en les cueillant s’ils essayent de progresser vers la zone des hotels. Les retarder, oui. Mais pas plus.
    Dans les sous-sols du palais de Baabda, sous les obus de 240 mm, le general Aoun est, depuis 9h, a l’ecoute radio. Il suit attentivement les nouvelles du front, les rapports des officiers d’etat-major, les peripeties de la vaste offensive ennemie declenchee a l’aube contre ses regions libres. Il est en liaison permanente avec les centres de commandement des brigades de son armee. Affectionnant le rapport direct avec les petites unites militaires et les officiers qui les commandent, lieutenants et capitaines, le general est de ceux qui font montre de sang-froid dans les moments critiques. Cette fois pourtant, une nouvelle le fait sursauter. Au milieu du bourdonnement incessant des ordres et des rapports, dans la bousculade des chiffres et le gresillement des emetteurs, une voix. Hachee, rauque, elle dit que l’ennemi a reussi une percee. Comme cela. Tout bonnement. « L’ennemi est dans la tranchee ». Le desastre en quelques syllabes.
    Le general a recu l’appel comme un uppercut en pleine figure. Cette voix dans l’ecouteur est celle d’un lieutenant du 101e Bataillon installe dans la citadelle et les Assaad I et II. En un eclair, Aoun devine de scenario. Il n’avait pas prevu cela. Ou plutot si, il l’avait pressenti la veille au soir et n’avait pas ete obei. C’est donc bien a Souk el-Gharb, repute inexpugnable, que les syriens et leurs allies ont decide d’operer une percee ! L’attaque de Ras el-Nabeh n’etait qu’une diversion. Et les Services de Renseignement de l’armee sont tombes dans le panneau. En moins de rien, les troupes syriennes peuvent devaler la route qui mene a Baabda. La suite n’est pas difficile a imaginer.
    Aoun decroche le telephone. A la salle d’operations, nul n’est encore conscient du danger. Pas plus qu’au commandement de la 10e. L’adjoint du chef d’etat-major pour les operations ainsi que le general Hakmeh tombent des nues. « La 8e, il n’y a que la 8e ». Vite, raccrocher pour appeler le colonel Kallas. « Selim, les syriens et leurs allies sont dans la Qalaa ». Kallas a compris. Les berets noirs a la rescousse. Il donne ses instructions. Intervention immediate sur le front de Souk el-Gharb. Un PC tactique avance est forme dans la zone de Jamhour -Yarze. Le 83e Bataillon recoit aussitôt l’ordre de faire mouvement.
    9h08, Fanar. Les hommes de la 833e Compagnie, 1er sous groupement du bataillon 83, prennent le petit dejeuner. En t-shirt, maillot de corps ou en uniforme ; etendus, lisant, buvant le cafe ou branches sur l’emetteur radio. Debout devant la porte, au soleil, le lieutenant Pierre songe aux permissionnaires. Ils sont nombreux, et la situation militaire est critique depuis trois jours. Il faudra les rappeler, et vite. Le 83e a ete place par le colonel Kallas en alerte tot le matin. On ne sait encore a quelle compagnie il sera fait appel en cas de necessite, mais Pierre a comme une certitude que ce sera a la sienne. Il n’a pas tort. Un contact radio, et la 833 (7 vehicules blindes M113 et 3 chars) est en route. Destination inconnue. Les gars en short ont a peine eu le temps d’enfiler bottes et casques et de grimper dans leurs VTT equipes de canons sans recul de 106 mm, de mortiers de 81 mm et de mitrailleuses de 12.7 mm. Le lieutenant Pierre, qui a pris place pres du chauffeur, en tete du convoi, lance un juron : son telephone de campagne Motorolla est tombe en panne a l’instant ou il demarre. Renforcer une ligne de front menacee, d’accord, mais laquelle ? Sans contact talkie-walkie avec le colonel Kallas, comment le savoir ? Les ordres ont fuse sans que l’objectif ait ete precise. Il fonce vers le rond-point de la Chevrolet et la, il pique un autre Motorolla a l’un des postes de l’armee. Contact retabli avec Kallas, c’est pour apprendre que sa destination est Souk el-Gharb. Bref instant d’emotion : « Le verrou en peril », murmure-t-il, incredule.
    Depuis Dekouaneh, les obus pleuvent sur le convoi. Le lieutenant deplie la carte des fronts et des routes conduisant a la FEBA. Quel chemin emprunter pour y arriver, sains et saufs de preference ?
    Soudain, sous ses yeux petrifies et ceux de son chauffeur, un obus s’ecrase sur la chaussee dans un fracas epouvantable. Un 120 mm, qui fauche une Fiat avec ses occupants, eclaboussant tout le perimetre. Les eclats brisent l’antenne radio de la compagnie.
    « Merde ! », marmonne le chauffeur, livide, incapable de dissimuler sa panique. La reaction de Pierre est immediate : « Accelere ! ».
    Warwar -Hopital Saint Georges : un troncon de 3 Km a parcourir entre les mailles serrees des obus de 130, 155 et les enormes 240. Le chauffeur hesite. Pierre, pas : « Il faut passer. Coute que coute. Malgre ces boules de feu qui arrivent sur nous ». En rang espace, la file emprunte alors une route a la limite du pays chretien. Longeant la ligne de demarcation dans la region Hadeth -Regie, les vehicules blindes s’engagent sur un terrain tantot sablonneux, tantot rocailleux, presque en territoire adverse. Pour donner le change, la colonne de chars prend la voie habituelle, celle par laquelle les artilleurs du PSP et de l’armee syrienne attendent de voir deboucher les renforts, c’est-a-dire la route principale Baabda -Berchay -Wadi Chahrour. Aussitôt les bombardements se concentrent sur l’unite cible de volontaires. Qui en rechappera par miracle.
    Au bout de la pente raide qui amorce la montee vers le verrou de Souk el-Gharb, au barrage de la police militaire, le soulagement et la surprise avec lesquels l’arrivee de la 833e Compagnie est saluee en disent long sur la gravite de la situation. Personne n’est en mesure de renseigner le lieutenant Pierre sur ce qui se passe la haut. « Le front a cede, lui confie un sous-officier. On ne sait rien de plus ».
    Sous un pilonnage d’enfer, il faut poursuivre l’ascension. Jusqu’au PC. Malgre la chenille d’un blinde qui lache brusquement. Malgre la chape de plomb qui enserre la poitrine. Derriere chaque boucle du chemin escarpe, Pierre s’attend a voir surgir l’avant-garde de l’armee syrienne. Parcourir encore les quelques metres impitoyablement laboures, l’estomac noue, l’inquietude vissee au corps. Soudain, au debouche du tournant, se decoupant dans l’epaisse brume de fumee et de poudre, les contours de l’hotel Hajjar. Un trou beant dans la facade, ce qui etait jadis une batisse aux lignes harmonieuses derive vers le decor onirique. Epave de pierre laceree. Le cœur battant la chamade, le lieutenant fait signe a ses hommes de ralentir. Au 2e etage, une silhouette en treillis vient d’apparaître. Les vehicules se rangent aussitôt a droite de la chaussee. Les hommes chargent leurs armes. Le fantome du second se retourne, le canon de son MAG braque en direction de l’unite. Pierre l’a deja couche en joue. Il s’apprete a faire feu.
    9h30. Baabda. Mains derriere le dos, front barre, Aoun arpente nerveusement la piece.
    L’initiative de l’offensive de Souk el-Gharb est due a Walid Joumblatt qui, decide de jouer a quitte ou double, a reussi a convaincre les syriens de l’appuyer.
    Au moment ou l’effort de l’armee se concentre sur Ras el-Nabeh, le PSP, en coordination avec quelques unites palestiniennes relevant d’Abou Moussa, se prepare a percer le front, repute inexpugnable, de Souk el-Gharb. La mise est grosse, le plan audacieux. Il s’articule essentiellement autour des elements suivants :
    1-Durant trois jours (10-11-12 aout), pilonnage intensif de toutes les positions de l’armee de Aoun, tirs de contre batteries pour detruire ou paralyser la puissance de feu.
    2-Le 13 a 6h, deluge de feu sur l’ensemble du reduit chretien, pendant 3h.
    3-A 8h, attaque de diversion a Ras el-Nabeh, sur le front de Beyrouth, afin d’induire en erreur l’armee libanaise sur les veritables intentions des allies de Damas.
    4-A 9h, offensive coup de poing contre toutes les positions de l’armee le long des 10 Km de la FEBA, defendue par la 10e Brigade, avant que celle-ci ait eu le temps de recuperer.
    Les objectifs sur le terrain sont les suivants :
    *dans une premiere phase, occupation par le PSP de la region de Souk el-Gharb jusqu’au village de Komatiyeh ; de Bsaba et d’autres villages chretiens dans la zone de Baabda par les hommes de Hobeika et les palestiniens d’Abou Moussa.
    *dans une deuxieme phase, offensive de l’armee syrienne, plus particulierement du 41e Regiment d’Infanterie, en direction du palais presidentiel de Baabda, objectif final de l’operation.
    Le plan se deroule comme prevu. A 9h, les tirs cessent sur les postes avances du front, tandis que s’accroit le pilonnage des arrieres, des voies de liaison et de communication, des PC. Le barrage d’artillerie est destine a interdire l’arrivee de renforts. Des que les premieres lignes ne sont plus bombardees, les forces prosyriennes declenchent l’assaut general sur l’ensemble du front de Souk el-Gharb allant de Aley a Choueifate. Il est mene sur trois axes simultanement :
    *l’axe Baissour -Kayfoun -Souk el-Gharb (en premiere phase), et Chawieh -Naamaniyeh (en deuxieme phase), qui est celui de l’offensive frontale, jumelant fantassins et blindes.
    *l’axe Hay el-Gharbi -Aley -Ain el-Remmaneh -Ain el-Sayde, qui est celui de l’offensive enveloppante, particulierement violente, combinee avec un assaut sur les hauteurs de la 888, de Kors el-Medawar et de la villa Salam.
    *l’axe Maaroufiye -Bsaba, dont l’objectif est d’isoler Souk el-Gharb en coupant les lignes de communication et les renforts de l’armee.

    Peu avant 9h, et alors que s’esquissait l’attaque sur le front Bsaba -Kfarchima, face a Maaroufiye -Choueifate, le colonel Kallas depeche le 3e Groupement Tactique (GT82) pour renforcer les elements de la compagnie d’infanterie 822 et bloquer toute avancee sur cette partie vitale du terrain. La bataille sur ce front sera un duel d’artillerie. Des 6h -heure du declenchement de l’attaque contre Souk el-Gharb -les batteries de 130 mm de l’armee libanaise dissimulees sur la colline de Betchay, dite Carol, en arriere du front, et dont le PSP ne soupconnait pas l’existence, deversent leurs charges en tir direct sur le poste avance de l’ecole Charlie Saad, sis sur la colline de Choueifate a droite, jusqu'à Dhour -Aley a gauche. Dans le camp d’en face, la surprise est totale, les batteries de la butte Carol n’etant encore jamais entrees en action.
    Tout se joue cependant sur l’axe frontal Souk el-Gharb -Kayfoun. Sur les positions avancees ou les bombardements ont cesse, le paysage est lunaire. Des tourbillons de poussiere et de fumee s’elevent partout. Surgissant de leurs cachettes, une centaine de miliciens jusque-la postes dans le village de Kayfoun et dans l’immeuble Khaffan, a 25 metres de la citadelle ou les hommes du 101e sont retranches, montent a l’assaut. En courant, ils traversent le val qui separe l’immeuble Khaffan de la citadelle. Ils sont bien equipes, munies de vivres et de munitions pour deux jours. Leur etat-major  monte une veritable expedition.
    Tapis dans les tranchees pour se proteger des obus, les soldats du 101e ne peuvent les reperer. D’ailleurs, on ne voit pas a 2 metres devant soi. La configuration du terrain aidant, les miliciens sont arrives au pied de la citadelle. Les bombardements ininterrompus depuis trois jours ont fait sauter les mines et les barbeles qui l’entourent et ouvert des breches dans le systeme de defense. De ce fait, les assaillants peuvent progresser a pied. Ayant penetre les lignes de l’armee, ils contournent la citadelle, prennent les escaliers sur le cote et se retrouvent dans les tranchees. Surprise : il n’y a personne ! L’autre groupe qui s’est lance a l’assaut des postes Assaad I et II est tombe sur un lieutenant qui, visiblement, n’a pas eu le temps de suivre l’ordre de repli. Il vient tout juste de donner l’alerte sur son Motorola. C’est sa voix tremblante que le general a captee a Baabda. Il est aussitôt abattu.
    Les miliciens du PSP exultent. Ils ont pris la Qalaa et sont a l’interieur de ses tranchees et des Assaad ! Ils ne peuvent s’empecher de crier victoire sur leur radio. Somme toute, ce n’etait pas si difficile de briser les defenses de l’armee aouniste.

    A Kors el-Medawar et sur la 888, la bataille est serree. Les hommes du 103e, assistes de quelques commandos, tentent de repousser les miliciens du PSP qui, a partir de l’autre versant de la butte 888, sont passes a l’attaque. Le face-a-face entre les deux camps, separes par 10 metres uniquement, est impitoyable. Chaque pouce de terrain est une position de gagnee. Sur chaque arpent de terre, on se bat au corps a corps. L’artillerie de l’armee a du mal a placer ses obus. Les belligerants sont trop proches les uns des autres.

    « Ne tirez pas : ici la 10e ! ».
    Le lieutenant Pierre baisse son arme. Il a envie de crier de joie. Le PC Hajjar n’est donc pas tombe aux mains des syriens ! Sautant de son vehicule, il se rue vers l’entree du batiment et s’arrete, fige. Qui, du lieutenant Pierre ou des quatre officiers en charge, est le plus stupefait ? Difficile a dire. A l’hotel -PC, ou l’arrivee de l’avant-garde de la 8e est saluee comme un exploit -le trajet aura dure 45 minutes sous les bombes -et accueillie avec un vif soulagement, tout le monde est a bout de force. Des blesses gisent a meme le sol sans que personne ne songe a s’en occuper. Le lieutenant fait appel a ses hommes pour les transporter, sur brancards et sous les obus, au dispensaire de la brigade, a l’arriere du front.
    Le colonel Kallas, avec qui il est en contact radio permanent, le relance :
    *Alors, que se passe-t-il ?
    *Je ne sais pas, mon colonel. Personne n’est en mesure de me renseigner. Le desordre est total. Ils evitent de m’adresser la parole.
    *Bon sang ! Il faut connaître l’etat du front. Debrouille-toi, vite !
    Croisant le capitaine Kamal, qui deambule, desempare, dans le couloir, Pierre le saisit par l’epaule et le secoue : « Au nom du ciel, qu’arrive-t-il ? Que faut-il que je fasse ? » Pour toute reponse, le capitaine esquisse un geste en direction d’une piece sombre. Pierre s’y precipite. Une deflagration le projette contre le mur lezarde. Il balaie la chambre du faisceau de sa torche. Assis dans le noir, l’air absent, une trentaine de soldats. Un adjudant s’approche. « Ce sont les gars de la citadelle. Ils se sont barres a temps. Mais il est reste la-haut deux lieutenants dont nous sommes sans nouvelles : Youssef et Chamoun ».
    Ayant rapporte ce qu’il sait au colonel Khalil, Pierre recoit l’ordre de se diriger vers la zone des hotels Kamal et Farouk. Il vient a peine de partir quun detachement de commandos debarque au PC Hajjar. Eux non plus ne savent pas ce qui est arrive. Leur commandement les a envoyes aux nouvelles.

    Quartier des hotels. Le lieutenant Pierre installe son dispositif. Les batiments en premiere ligne qui sont autant de ruines -hotel Kamel, hotel Farouk, postes Assaad et Chebli -ont ete evacues par leurs defenseurs que commandait le lieutenant Chamoun. Premier objectif du lieutenant Pierre : les recuperer ; et, pour cela, se menager une couverture d’artillerie. Il saisit son Motorola et, s’adressant au colonel Kallas : « Colonel, j’ai besoin d’un appui feu direct ». Quelques secondes plus tard, les canons de tir direct de 130 mm du 85e Regiment a Betchay entrent en action. L’artillerie syrienne et celle du PSP ripostent. La progression est lente et difficile. La 833e Compagnie compte deja quatre blesses dans ses rangs. Peu apres, elle finit cependant par prendre position au carrefour, point nevralgique ou s’entrecroisent les routes menant au cimetiere, a la citadelle et au PC de l’hotel Hajjar. L’hotel Kamel ou le lieutenant Khalil, l’adjoint de Pierre, s’installe avec ses hommes, surplombe la vallee.
    « Lieutenant ! Venez voir ! Le PSP occupe la Qalaa, les Assaad et tout le terrain jusqu’aux limites du college ! ».
    Pierre saisit ses jumelles. Son second poursuit : « Chamoun est bloque avec ses hommes a l’ecole palestinienne. Il n’a pas de liaison radio.
    *Il n’a pas le moral non plus, je suppose, puisqu’il a ete contraint d’evacuer ses postes avances. Bon. Nous…
    *Lieutenant Pierre ! Les palestiniens progressent d’Aitate vers l’immeuble Yahoudiyeh. Le lieutenant Chamoun va se retrouver dans une position intenable.
    *Faites donner du 106 (canon de 106 mm sans recul, monte sur jeeps ou transports de troupes VTT et M113) ! Il faut les arroser copieusement ».
    Moins de 10 minutes plus tard, la progression des palestiniens est stoppee. Desenclave par les renforts qui viennent de l’atteindre, Chamoun, les cheveux en bataille, le visage fatigue, explique que sa radio est en panne depuis trois jours, qu’il a du se replier sur l’ecole depuis l’offensive du matin parce qu’il ne pouvait demander de l’aide.
    « Diable, on nous tire dessus ! », s’ecrie le lieutenant Khalil, d’autant plus surpris que l’obus qui vient d’exploser a quelques metres de l’hotel Kamel provient du cimetiere. « Que se passe-t-il ici ? Ces positions sont censees etre tenues par les notres ! ».
    Un coup, puis un autre, cette fois du cote de la route de Naamaniyeh qui conduit aux abattoirs et au cimetiere. La source de tir se rapproche. Khalil alerte aussitôt le lieutenant Pierre : « Un blinde avance sur la route de Naamaniyeh. Il tire a intervalles reguliers. Je vais m’en occuper ».
    De l’autre cote de la route, Pierre voit son adjoint charger un canon de 106 mm et se poster a une fenetre pour faire feu.
    « Non, ne sors pas ! », hurle-t-il. Mais deja, Khalil s’ecroule, l’œil arrache par un eclat d’obus. Pres de lui tombe Elie, un de ses hommes, foudroye. Dans les rangs de la 833, c’est l’etat de choc.
    « Couvrez-moi, vite ! », tonne Pierre.
    Comme un fou, il traverse la route en courant, suivi de trois soldats, monte 4 a 4 les marches du grand escalier de l’hotel Kamel et fait irruption dans la piece ou gisent Elie et Khalil. Elie est mort, mais Khalil est toujours vivant, etendu dans une mare de sang, l’œil hors de l’orbite. « Aidez-moi a les evacuer », ordonne-t-il a ses hommes. Les deux corps sont traines sur les marches a l’exterieur de l’hotel Kamel et charges dans un VTT portant un canon de 106 mm.
    « Je veux evacuer l’hotel Kamel. C’est une position intenable. L’adversaire s’est infiltre dans le cimetiere. Mais je demande un tir continu sur le batiment pour empecher l’ennemi de s’en emparer », annonce Pierre au colonel Kallas, toujours en ligne. Le colonel n’est pas d’accord : « Ne bouge pas. Je t’envoie le sous-groupement 831 pour s’occuper de l’infiltration dans le cimetiere et a Naamaniyeh ».
    Dans le cimetiere, les coups de feu augmentent. Pierre distingue, sur la terrasse d’un immeuble, un milicien druze portant la barbe et une calotte noire. La bataille s’engage a coups de fusils mitrailleurs. Un VTT de l’armee est touche de plein fouet par un obus de 130. Comble d’infortune : le transport de troupes utilise pour sortir les blesses, dont le lieutenant Khalil, tombe en panne sous le feu direct de l’adversaire. L’evacuation se fait en catastrophe : il faut souder deux blindes l’un a l’autre pour demenager les occupants du premier vehicule. La 833, tres eprouvee, se defend autant qu’elle peut. Mais elle ne peut plus grand-chose. C’est alors que le deuxieme sous groupement du 83, la 831e Compagnie, debarque sur les lieux.
    Le lieutenant Samir, qui commande la 831e, est arrive a l’Hotel Hajjar 15 minutes apres la 833 du lieutenant Pierre. En quelques mots, le commandant Khoury lui a brosse un tableau de la situation, puis lui a demande de se diriger avec son groupe a Kors el-Medawar ou les combats font rage.
    « Commandant, avec votre permission, j’ai l’ordre de me porter au secours de ceux qui se battent du cote de la citadelle », lui a repondu Samir.
    Alors Khoury a depeche sur les collines 888, Kors el-Medawar et Prince une partie du detachement de la 3e Compagnie des commandos, qui s’etait pointe presque en meme temps que la 833.

    Ayant occupe la citadelle et ses abords jusqu'à la peripherie de l’ecole de Souk el-Gharb, les fantassins du PSP ont pousse plus loin, vers le talus de la colline du Prince, qui constitue le verrou de Souk el-Gharb. C’est au pied de ce talus que sont situes les abattoirs et le cimetiere. Pour y arriver, les assaillants se sont glisses au fond du talweg qui separe l’ecole du cimetiere. Ils sont une cinquantaine a deboucher ainsi presque au pied de la fameuse colline, tout etonnes de leur propre temerite. Ils n’ont rencontre d’autre resistance que l’echange sporadique des tirs d’armes automatiques et de lance-roquettes avec les soldats de la 833e qui les dominent a partir de la zone des hotels ou ils viennent de reprendre position.
    Grises par le gout d’une victoire a portee de main, les miliciens investissent les abattoirs et le cimetiere.
    A la tete de la 831, le lieutenant Samir amorce prudemment la descente vers le val. La densite des bombardements a rendu la visibilite mauvaise. Chaque pas peut etre fatal. Le voici maintenant avec ses hommes au pied de la butte. Une rafale de mitrailleuse dechire l’air. A une vingtaine de metres devant eux, les soldats distinguent une longue silhouette, en trellis militaire et baskets, portant un havresac et brandissant un M16, le doigt sur la gachette.
    « Des hommes en armes dans le cimetiere et les abattoirs ? Ca ne peut -ca ne devrait etre que nos gars !
    *Ici Samir. Sommes sur les lieux. Des elements armes sont en face, a quelques metres de nous. Amis ou ennemis ?
    *Ici Kallas. Tirez a vue. Sans tarder. L’ennemi est dans la place ». La fusillade eclate aussitôt. Samir vient a peine de donner l’ordre de tirer que des LAW entrent en action du cote des abattoirs, ponctues de jurons et de cris de surprise laches par les miliciens. Surgissant de leurs trous, les defenseurs du 103e Bataillon se sont joints aux renforts pour repousser l’infiltration prosyrienne.
    La bataille est serree, specialement autour de la villa qui borde le cimetiere. Les hommes de Walid Joumblatt sont coriaces et courageux. C’est le face a face. Au bout de longues minutes d’un combat sans merci, les assaillants finissent par refluer. Sans trop s’eloigner toutefois. Ne voulant pas renoncer a la colline du Prince, ils s’installent en face de la villa que la 831 occupe et entretiennent des tirs de harcelement, les yeux rives sur la colonne de chars du PSP qui avance le long de la route Chawiyeh -Naamaniyeh.
    C’est que l’offensive blindee sur l’axe Karameh -Chawieh -Naamaniyeh est planifiee pour coincider avec la charge de l’infanterie du PSP contre les positions de l’armee a Souk el-Gharb. Au moment ou les fantassins druzes se lancent a l’assaut du cimetiere, six chars T-55 et plusieurs vehicules blindes jusque-la tenus en reserve dans la zone d’Aley s’engagent sur la route Chawieh -Naamaniyeh, tandis que d’autres blindes, postes tout autour de la cuvette qui separe Souk el-Gharb des hauteurs d’Aley et de Chemlane, ouvrent le feu en tir direct. Des missiles SAGGER et SPIGOT explosent a quelques metres des positions de l’armee. A l’etat-major aouniste, on a, cette fois, compris la tactique et l’objectif de l’adversaire. La route de Naamaniyeh, venant de Karameh et d’Aley, aboutit directement aux abattoirs et au cimetiere. La, elle se subdivise en deux embranchements : l’un va vers Kayfoun et la citadelle, l’autre rejoint la piste qui enrubanne la colline du Prince, ce qui permet de deboucher sur la route de Souk el-Gharb et de foncer vers le PC de l’Hotel Hajjar. En contournant les lignes avancees du front, comme ils en ont l’intention, les allies de la Syrie peuvent, en devalant la colline, occuper le village de Komatiyeh et couper Souk el-Gharb de ses arrieres, notamment de Bdedoun, deuxieme ligne de defense de l’armee. La victoire aurait ete effectivement a portee de main, ou plutot a portee des blindes, qui avancent implacablement sur la route de Naamaniyeh, si les fantassins du PSP avaient reussi a neutraliser la 10e Brigade dans le cimetiere et les abattoirs. Mais voila : ce sont les troupes d’Aoun qui sont toujours la. Aussitôt reperee, aussitôt matraquee : la colonne de blindes est prise sous les projectiles des chars postes dans la zone du cimetiere et de l’Hotel Kamel, et de l’artillerie de l’appui direct (85e).
    Au PC avance de la 8e, quelque part entre Jamhour et Yarze. Le colonel Selim Kallas examine la carte de la FEBA a Souk el-Gharb. Tandis que des affrontements meurtriers se poursuivent sur la 888 et a Kors el-Medawar ou les syriens et le PSP maintiennent une pression meurtriere, le sort de la bataille se joue du cote de la citadelle et au pied de la colline du Prince.
    « Passez-moi le general Aoun », demande Kallas. Deux minutes plus tard, il fait au commandant en chef le point des operations et lui confie son analyse de la tactique de l’adversaire, soulignant la gravite de la situation. Puis : « Mon general, je reclame le commandement de tout le front de Souk el-Gharb pour pouvoir coordonner la contre-offensive. Nous devons faire vite.
    *Selim, cela implique aussi le commandement de la 10e et des commandos qui se trouvent la-haut.
    *Oui, mon general. Il faut unifier le commandement. A ce stade-la, il y va du sort de la bataille.
    *C’est bon. Prends la direction des operations. Mais je veux que la contre-attaque sur la citadelle ait lieu avant la fin du jour, pour empecher l’ennemi de consolider durant la nuit les positions acquises. Tout doit etre termine ce soir.
    *Ce sera fait, mon general ».
    Kallas ordonne aussitôt au 84e Bataillon d’installer une puissante base de feu sur la colline du Prince pour prendre la citadelle et ses abords sous son tir direct, en appui de la contre-attaque, et au 85e d’y implanter un observatoire d’artillerie pour regler la precision du tir. Il depeche parallelement, dans des zones d’attente, le 81e Bataillon a Jamhour et le reste du 82e a Hadeth.

    Il est presque midi. Hay el-Nassara, le quartier des chretiens, a Aley. Walid Joumblatt fulmine. Les renforts de l’armee libanaise sont, envers et contre tout, arrives a Souk el-Gharb. La 8e Brigade a debarque sur le front sans crier gare. Des unites de commandos aussi. En matiere d’artillerie, les syriens n’ont pourtant pas lesine sur les moyens. Chars et batteries antichars se sont dechaines, comme promis, sans discontinuer depuis 6h sur ce verrou montagneux qui obsede Walid. Les troupes syriennes ont assure une base de feu en appui direct pour permettre aux combattants du PSP d’avancer. Mais elles n’ont pas mis le pied sur le terrain. Joumblatt savait qu’il en serait ainsi, que ses hommes subiraient le poids de la bataille, les syriens se contentant de rester en deuxieme ligne, prets a tirer les marrons du feu si son entreprise reussissait. Hafez el-Assad l’avait mis en garde, en effet, contre une telle expedition lorsqu’il avait ete le solliciter a Damas, 24h auparavant. Le president syrien lui avait clairement fait comprendre que le maximum qu’il pouvait esperer de l’armee syrienne, c’etait une couverture d’artillerie et un appui-feu direct. Qu’il n’etait pas question de donner l’infanterie, ni de lancer les forces speciales a l’assaut d’une quelconque position fortifiee du pays chretien, tant pour des raisons strategiques que mediatiques, a l’echelle internationale.
    Depite, Joumblatt avait quand meme tenu a declencher sa bataille, insistant pour obtenir le soutien syrien. Assad avait fini par laisser faire son bouillant allie. Lequel esperait, peut-etre, en son for interieur, entrainer malgre elle l’armee syrienne dans la bataille. Illusion, bien sur.
    Quoi qu’il en soit, Joumblatt decouvre en cet instant qu’il s’est lui-meme trompe, et lourdement. Que le fer de lance de sa milice est en passe d’etre brise. Les fantassins du PSP sont, en effet, en mauvaise posture. Dans le cimetiere de Souk el-Gharb, ils ont ete repousses apres un affrontement acharne avec les hommes de la 8e, alors qu’ils etaient pratiquement arrives au pied de la colline du Prince ! Certes, la prise de la Qalaa est une victoire remarquable, mais qui est en train de tourner au desastre car les combattants druzes, tout comme les palestiniens d’Abou Moussa qui leur pretent main forte, sont maintenant pris au piege dans les tranchees ou ils se sont introduits, coupes de leurs arrieres par le feu de l’artillerie aouniste. Ils ne peuvent plus avancer ni reculer. Et voila que la 8e Division est la ! Si elle charge, en coordination avec les commandos, c’est la fin : l’echec de la percee et le massacre des miliciens druzes et des fedayin palestiniens. Sans compter le ridicule dont lui, Walid Joumblatt, serait couvert : au matin, lorsque ses hommes avaient pris pied dans la citadelle, il avait eu l’imprudence d’annoncer qu’il tiendrait, a midi, une conference de presse a l’hotel Hajjar, c’est-a-dire au PC de l’armee libanaise a Souk el-Gharb.
    Joumblatt est livide. Les mauvaises nouvelles se precipitent : « Walid bey, la colonne de chars sur la route de Naamaniyeh…Elle reflue. L’armee libanaise prepare une contre-attaque a la Qalaa. Ils ont commence a degager la route qui mene des hotels a Kayfoun, poussant tous les obstacles et vehicules touches qui l’obstruent. Le chef druze ne repond pas. De fines gouttes de sueur perlent sur son front degarni. Il se sen traque. Les syriens l’ont abandonne a son sort.

    Au PC de l’hotel Hajjar, c’est l’effervescence puis l’explosion de joie : les services d’ecoute de l’armee libanaise viennent de capter la communication radio de Joumblatt demandant a parler avec le brigadier Moallak au cours de laquelle le commandant du 41e Regiment des Forces Speciales syriennes s’est debine. L’issue de la bataille est desormais certaine. Ce n’est qu’une question d’heures. Entre les PC de la 8e, de la 10e et de la 3e Compagnie des commandos, la coordination est parfaite. On organise la reprise de la citadelle. Les 85e, 55e et 105e Regiments d’artillerie font merveille. Tirs de contre batterie, de harcelement des troupes et des lignes de communication ennemies, tirs en appui general et barrage d’artillerie sur la citadelle et ses abords neutralisent les bouches de feu des syriens et de leurs allies. Jusque dans l’apres-midi, les artilleurs libanais d’Ain Saade et de Jouret el-Ballout dans le Metn Nord ainsi que les chars plantes sur la colline du Prince vont couper de leurs arrieres les miliciens druzes infiltres dans la citadelle. Pour ce faire, l’armee libanaise n’hesite pas a placer ses obus a quelques 20 metres de distance des lignes amies, c’est-a-dire de ses propres positions, tant les combattants son rapproches.
    C’est sous un feu roulant qu’a 12h30, le 3e sous groupement tactique (Compagnie 832 du lieutenant Helali) est depeche sur les lieux pour tenter la contre-attaque sur la citadelle. Mais il est violemment bombarde sur la route qui longe les hotels, les syriens l’ayant repere et paralyse. Ayant subi des pertes serieuses (5 blesses, dont 1 officier, 2 vehicules blindes et 1 char endommages), la 832e Compagnie recoit l’ordre de renoncer a la contre-attaque et d’aller renforcer la 833e.
    Cependant, les renforts libanais ne sont pas les seuls a etre stoppes : la colonne de blindes prosyriens l’est simultanement sur la route de Naamaniyeh, apres avoir subi de lourds degats que lui inflige le Bataillon 85 (appui direct). Un missile MILAN touche de plein fouet le 2e char de la colonne, un autre char est detruit par une salve de 155mm. Les T-55 sont immobilises et decrochent.
    Pendant ce temps, des combats tres durs se poursuivent sur l’axe Dahr el-Wahch -Ain el-Remmaneh et sur les collines 888 et Kors el-Medawar. Berets vers des 102e et 103e Bataillons et berets rouges de la 3e Compagnie reussissent a bloquer puis a repousser l’assaut conjugue des forces druzes et palestiniennes, appuyees par les char syriens.
    13h, zone d’attente de Jamhour, au siege de la Compagnie 812 du Bataillon 81. Cheveux noirs coupes court a l’americaine, pommettes saillantes, le lieutenant Bassam est en communication avec le colonel Kallas qui, apres l’expose sommaire de la situation sur le front, lui annonce : « Bassam, c’est toi qui va reprendre la Qalaa. Tu dois reussir. Tu seras le heros de la Republique ». Bassam se tait. Il sait ce que cela signifie : il y a une perspective de non retour dans ces mots-la.
    Le matin, lorsqu’il avait recu l’ordre de quitter sa position initiale a Dick el-Mehdi pour le carrefour dit de la Chevrolet, point de rassemblement, la route etait vide. Des permissionnaires du Groupement Tactique 83 qui n’avaient pas eu le temps de rejoindre leur unite, croises en chemin, s’etaient spontanement rallies a son bataillon. Le sous groupement du lieutenant Bassam, compose au depart d’une cinquantaine d’hommes, dont 4 officiers, de 7 transports de troupes M113, de 3 blindes M-48 et 3 mortiers, s’etait ainsi trouve renforce de quelques elements. Entre Jamhour et Wadi Chahrour, la 8e Brigade a creuse un sentier insoupconnable, au cœur de cette region forestiere. C’est la position d’attente des unites du 81e appeles en renfort sur les premieres lignes de Souk el-Gharb. La piste, cahoteuse, pierreuse, crevassee, s’enfonce a travers bois et debouche au carrefour de Wadi Chahrour sans etre reperable des hauteurs par l’adversaire. Mais de la jusqu'à l’hotel Hajjar, il faut slalomer sous les obus.
    Lorsque la 812 fait irruption au PC, le commandant Khoury saisit le lieutenant Bassam par le bras : « Bassam, je ne sais pas s’ils sont arrives a la villa Assaf ou non. Nous n’avons plus aucune liaison radio a partir de cette position ».
    Quelques instants et quelques obus plus tard, la 812 rassure le PC : « La villa Assaf est aux mains des troupes amies ». Maintenant, il s’agit de recuperer les positions perdues par la 10e, c’est-a-dire la citadelle et les Assaad I et II. Direction : le cimetiere. La poussiere soulevee par les bombardements y est telle que le lieutenant Bassam peut, derriere l’ecran opaque de fumee, faire avancer ses blindes l’un apres l’autre sur la route menant aux deux Assaad.
    Malgre deux chars renverses qui lui barrent le chemin, il debouche, apres avoir emprunte un sentier de traverse, sur la place ou se trouve le siege du PC de la 101e Compagnie, delaisse par les defenseurs de la citadelle. Le batiment est juste en face, mais pour l’atteindre, il faut defier les rafales qu’un franc-tireur du PSP, poste dans l’immeuble de la municipalite, lache regulierement sur la place. Lorsque Bassam et ses hommes arrivent sur les lieux, les commandos de la 3e Compagnie, envoyes en renfort, ont deja tente une contre attaque, sous la conduite d’un capitaine, mais ils ont ete cueillis par une salve de PKS, tiree a partir de la municipalite. La tentative s’est soldee par 1 tue et 4 blesses dans les rangs des codos, qui ont reflue. Quelques minutes plus tard, l’un des blesses ne tarde pas a succomber. Il devient urgent de reduire au silence le franc-tireur pour aller recueillir le corps dont le spectacle demoralise la troupe. Les berets rouges se devouent : l’un apres l’autre, ils se relaient a decouvert sur la place, pour lacher leurs coups de LAW ou de B-7. Nombre d’entre eux sont blesses.
    Le lieutenant Bassam decide alors d’affecter 2 VTT munis de 106mm au matraquage du batiment ou se cache l’homme qui fait tous ces ravages. Peu a peu, cependant, les 106 ayant fait leur œuvre, ses tirs s’espacent. Talonnes par leurs hommes, le lieutenant Bassam et le capitaine codo traversent la rue en courant et s’engouffrent dans l’entree delabree du PC de la 101e Compagnie. Une volee de 130 mm s’abat aussitôt sur eux, a partir des collines environnantes. Les murs du batiment s’ecroulent. Pris dans un etau de poudre et de fumee, les deux officiers et leurs soldats suffoquent. Bassam est ebranle. Il a beau jouer les durs, ce n’est pas facile de voir les copeaux de metal se ficher dans la chair d’un camarade. « Il faut a tout prix evacuer l’endroit, il est intenable », crie-t-il au capitaine. Joignant le geste a la parole, il sort, suivi de son adjoint Khalil, sur le pas de la porte. Sur la place, le franc-tireur a repris sa musique infernale. Brusquement, Khalil s’elance. Bassam tend la main pour le retenir. Trop tard : une balle se loge dans la jambe de son adjoint, qui s’affaisse. Les commandos, qui n’ont pas cesse de tirer sur l’homme au PKS, mais sans l’atteindre, ont deja 5 blesses. Les blindes du 84e en poste sur la colline du Prince se dechainent alors sur ce qui reste du batiment municipal qui s’ecroule sur son intrepide defenseur.
    16h30. Berets rouges et berets noirs preparent l’assaut final. Il est convenu que les berets rouges du capitaine codo investiront la citadelle et que les noirs du lieutenant Bassam s’attaqueront aux postes Assaad I et II. Ce dernier, mieux pourvu en armes car il appartient a la 8e, la mieux equipee des brigades de l’armee, donne deux de ses chars M-48 au capitaine, qui en a bien besoin, car lui et ses commandos se trouvent a Souk el-Gharb sans leurs Panhard. Au signal, M-48 et M-113 foncent, ouvrant la voie aux codos qui franchissent en courant les 150 metres les separant des premieres tranchees de la citadelle. Bassam engage son unite sur la route parallele qui conduit aux Assaad I et II, un peu plus bas. Son M-113, muni d’un 106 mm, est en tete du convoi, ce qui en fait immediatement la cible des tirs de RPG et de PKS. Mais la puissance de feu des contre attanquants de l’armee libanaise est superieure. Le blinde avance toujours, sans cesser de tirer. Presque au meme instant, le 85e arrose en tir direct les ruines ou sont retranches les hommes de Walid Joumblatt. En quelques minutes, Assaad II est pratiquement rase. « Il ne peut pas y avoir de survivants », murmure Bassam, en investissant les blockhaus a bord de son vehicule blinde, flanque d’un M-113 portant un 12.7 mm. Le ratissage systematique des tranchees commence. « Lieutenant ! Venez voir ! ». Bassam se retourne. L’un de ses hommes pointe l’index vers une excavation, a droite. Trois hommes y gisent, l’arme au poing.
    "Continuons. Il doit y en avoir d'autres, et peut-être pas tous morts". Bassam ne croit pas si bien dire. A peine ses hommes et lui ont-ils fait quelques pas dans l'épais brouillard qui baigne les lieux, que des coups de feu éclatent. Surgissant de derrière un monticule, à 5 mètres d'eux à peine, deux miliciens lâchent des rafales de Kalachnikov. Bassam les somme de se rendre. "Allez au diable", rétorque l'un d'eux, sans lever le doigt de la gâchette. Une fusillade nourrie éclate. Les deux irréductibles sont abattus. Pour être des ennemis, ce n'en sont pas moins des hommes méritant l'hommage et le lieutenant le leur rend: "Nous aurions aimé les faire prisonniers, mais ce sont des guerriers hors pair, téméraires et pugnaces. Ils ne se rendent pas".
    Les blindes du 812 poursuivent leur ratissage. Leurs conducteurs devancent les fantassins et, comme ivres, rejoignent les toutes premieres lignes en grimpant sur les tertres qui bordent la ligne rouge de Souk el-Gharb. De la, ils prennent dans leur ligne de mire le Borj el-Aali, en face.
    "Colonel, hurle Bassam a Kallas sur son Motorolla, il n'y a plus personne devant nous. C'est la panique chez l'ennemi. Ils ont tous decampe. Nous pouvons pousser vers l'interieur sur 5 Km au moins!
    *Laisse moi en aviser le general d'abord. Bravo Bassam. C'est du bon boulot. Assure-toi que le capitaine codo a pris la Qalaa".
    Soudain, des explosions sur la droite, du cote de la citadelle precisement. Les berets noirs, qui ont pousse leur operation de ratissage dans cette direction en se faufilant dans les tranchees, viennent de tomber sur deux combattants, jaillis comme des diables de leur boite, a 40 metres d'eux, pour lacher une bordee de RPG. Ce sont les deux derniers miliciens druzes dans la place. Malgre l'effet de surprise, ils n'ont aucune chance d'en rechapper. Poursuivis dans les tranchees, ils sont battus d'une salve de M-16.
    Ca y est! C'est fini. La jonction avec les commandos est faite dans la citadelle. Ceux-ci arrivent, joyeux. Ils ont recupere le lieutenant Youssef, du 101e Bataillon, avec ses adjoints, tapis dans une carcasse d'immeuble adjacent a la citadelle, une dizaine de corps de miliciens gisant au pied de leur cachette.
    Lorsqu'il a vu les berets rouges debarquer, Youssef s'est mis a sangloter doucement. "Tu es un brave", lui a dit le capitaine codo. Les soldats libanais sont maintenant au pied de l'immeuble Khaffan. Un blinde se trouve devant cette batisse qui ressemble de loin a une ruche.
    Berets rouges et noirs s'en donnent a coeur joie, vidant leurs chargeurs sur les anciennes positions du PSP. Seul l'echo leur repond. La contre-offensive finale aura dure 15 minutes.
    16h45. Le lieutenant Bassam, commandant le 812, informe le colonel Kallas que tranchees et boyaux ont ete nettoyes a la citadelle et que l'adversaire s'est retire, laissant derriere lui ses cadavres.
    "Faites evacuer les corps vers le PC de la brigade. Nous allons avertir la Croix-Rouge", ordonne Kallas.
    Il n'y a pas de prisonniers, ni de part ni d'autre.
    "Mon colonel, insiste le lieutenant Bassam, l'ennemi a evacue ses positions a Kayfoun et sur les hauteurs de Mtoll-Chemlane, sur une profondeur de 5 Km. Nous pouvons avancer davantage et occuper toute la zone, jusqu'a Borj el-Aali.
    *Bassam, je te rappelle dans quelques minutes. Patiente".
    16h50. Le colonel Kallas appelle le general Aoun a Baabda.
    *Mon general, nous avons gagne.
    *Les Assaad I et II? La citadelle? Vous avez tout repris?
    *Oui, mon general. Les tranchees sont nettoyees. Le PSP a laisse des cadavres sur le champ de bataille, une dizaine a peu pres, rien que sur cette position.
    *Et nous, combien de morts?
    *La, deux commandos, mon general, et sept morts dans la 10e. Aucun dans la 8e. Beaucoup de blesses. C'est un premier decompte.
    *C'est bon.
    *Mon general, la victoire est totale. Nous sommes meme en mesure d'occuper Kayfoun et Mtoll-Chemlane. C'est la debandade chez l'adversaire.
    *N'en faites rien. Nous ne franchirons pas la ligne rouge. Bravo, Selim.
    *General, puis-je venir au palais avec les commandants des groupements tactiques qui ont participe a la contre-attaque? Les gars sont grises.
    *Attendez encore. Que personne ne bouge de ses positions. Ils vont peut-etre preparer un nouvel assaut.

    17h15. L'armee libanaise publie le communique annoncant sa victoire, et invite les medias libanais et etrangers a se rendre a Souk el-Gharb pour constater de visu l'issue de la bataille. Peu de journalistes s'aventureront cependant ce jour-la sur les lieux encore fumants. Seul un cameraman libanais travaillant pour le compte de la CBS americaine se risquera a y aller, suivi, a 19h, de l'equipe de la LBC, la station de television des FL, qui filmera les cadavres des combattants laisses sur les lieux. Ceux-ci seront enterres a Souk el-Gharb, n'ayant pas ete reclames, avant d'etre exhumes et restitues a leurs familles un mois plus tard par la Croix-Rouge.
    Dans les rangs des 8e et 10e Brigades de la 3e Compagnie des commandos, c'est le chant de victoire. Une fois nettoyees toutes les poches de resistance a Souk el-Gharb, les soldats pleurent, s'embrassent hurlent a tue-tete, tout etourdis encore. Le commandement leur fait monter des victuailles et des boissons gazeuses. En soiree, incapables de dormir bien qu'epuises, ils vident leurs munitions. Tirs d'allegresse, mais aussi pour exorciser le cauchemar. On entonne l'hymne national, tandis qu'au PC de la 8e, on ouvre des bouteilles de champagne.
    Le lieutenant Bassam raconte: "Pour moi, ces 15 minutes qu'a dure la contre-attaque sur la Qalaa ressemblent a une eternite. J'avais completement perdu la notion du temps; j'etais certain de ne pas en revenir. J'ai compris que nous avions gagne seulement lorsque le colonel Kallas est venu inspecter nos positions avancees le lendemain matin".
    21h, palais de Baabda. Aoun recoit Kallas et les commandants des groupements tactiques qui ont participe a la bataille. "Felicitations, les gars", dit-il simplement, en leur tapotant sur l'epaule.
    Avant de se retirer, Kallas s'approche de lui: "Avez-vous doute, mon general, de l'issue de la bataille?"
    Aoun hesite, puis: "A partir du moment ou la 8e a repris la situation en main, non. Mais je crois bien que nous avons eu chaud". Et il ajoute, l'oeil malicieux: "Si la 8e avait echoue, je crois que j'y serais monte avec la garde presidentielle".

    -Sa Guerre de Liberation, le general Michel Aoun savait qu'il ne pouvait la remporter. Pas avec des moyens techniques, materiels et humains aussi limites. Son armee (17000 hommes: 5 brigades, et des unites de choc telles que les Commandos, la Moukafaha et la Police Militaire) bien que mieux equipee de celle, disparate, de Beyrouth-Ouest, ne faisait pas le poids face a l'armee syrienne. De plus, il ne disposait que d'une seule brigade de reserve, les autres etant reparties sur les lignes de front du pays chretien. Cela explique qu'il ait eu recours aux jeunes et aux volontaires pour se constituer des troupes de reserve.
    L'armee d'Aoun etait donc, des le depart, condamnee a mener une guerre defensive. Elle ne pouvait pretendre a l'initiative face aux 30000 syriens (40000 a partis d'octobre 1989) engages au Liban.

    -L'irruption, au mois d'avril 1989, des vedettes syriennes et l'instauration d'un blocus maritime des regions chretiennes representent un element nouveau dans la donne libanaise.

    -En ete 1988, Gemayel voulait former un gouvernement qui se chargerait de remplacer le commandant en chef de l'armee, qu'il trouvait a l'epoque trop mou a l'egard des Forces Libanaises. Plusieurs fois en effet, l'armee libanaise avait ete mise en etat d'alerte, face a la milice, sans que cela ait eu des suites: tres vite, Aoun levait l'alerte. Pour Gemayel, il devenait de plus en plus evident qu'Aoun n'en decoudrait avec les Forces Libanaises qu'en echange de la promesse qu'il accederait a la presidence.

    -A la mi-aout, la concurrence Aoun-Gemayel pour le controle de l'armee libanaise va crescendo. Le president de la Republique declare carrement au general que le decret de sa destitution est dans le tiroir. Il invite les officiers a ne recevoir d'ordres que de lui, en sa qualite de commandant supreme. Mais Aoun ne l'entend pas de cette oreille.

    -Le 11 aout 1989, Gemayel se rend a Yarze et devant plus de 300 officiers, exhorte l'armee libanaise a la retenue. A peine a-t-il le dos tourne que le general Aoun prend a son tour la parole. Il affirme qu'il interviendra (pour permettre le bon deroulement du scrutin presidentiel du 18) avec ou sans l'aval de l'autorite politique.
    L'etat d'alerte et la mobilisation generale sont aussitot decretes dans les rangs des Forces Libanaises. Samir Geagea interrompt precipitemment sa retraite a Kattara et regagne son QG a la Quarantaine. L'attitude du general Aoun est qualifiee de logique putschiste.

    -Debut 1988, un lieutenant druze avait detourne un helicoptere Gazelle de la base militaire d'Adma vers le Chouf. Aoun, tres affecte par l'affaire, avait active la Chambre d'Operations Maritimes et menace d'envahir la Montagne. Ou bien l'helicoptere etait transfere de Hammana, ou il etait parque, soit a Rayack, soit a la base aerienne de Beyrouth, ou bien s'etait l'operation militaire. Les evenements se precipiterent: blocus, rodomontades de part et d'autre. Le ton etait a l'escalade.

    -Khaddam a Aoun en 1985: "Nous n'oublions pas votre passe et celui de l'armee libanaise; vous avez assassine des soldats syriens a Fayadieh, en 1978".

    -Depuis septembre 1986, date a laquelle le colonel Khalil Kanaan, commandant de la 5e Brigade, a ete abattu dans son lit a son domicile de Hazmieh par un commando des Forces Libanaises, les relations entre Geagea et Aoun ne sont pas au mieux.

    -En 1978, Mikhael Daher s'etait fait l'avocat des militaires libanais, Antoine Barakat en tete, impliques dans l'affrontement de Fayadieh avec l'armee syrienne.

    -Premier coup de semonce a l'adresse du general: la designation, le 9 novembre 1988, du general Sami Khatib a la tete des brigades de l'armee ralliee au pouvoir en place a Beyrouth-Ouest. Aoun reagit en nommant Nadim Lteif a la direction de la Surete Generale et en engageant une vaste operation de recrutement dans l'armee.

    -Bagdad s'appretait au printemps 1989 a livrer a Aoun une dizaine de missiles Frog-7 et deux rampes de lancement lorsque Israel, informe que ce dernier risquait d'en retroceder quelques-uns a Arafat, aux termes d'un accord secret entre les deux hommes, et ayant piste la cargaison a partir du moment ou elle avait quitte le porte d'Akaba, le fait arraisonner. Les Frog-7 n'arriveront jamais a leur destination.

    -Le clash du 14 fevrier 1989 n'est qu'une prefiguration, limitee dans le temps et les effets, de la guerre totale qui va ensanglanter le reduit chretien a partir du 31 janvier 1990. De cette repetition, il faut retenir ceci:
    1-La milice parvient a stopper la 10e Brigade et les commandos dans le Metn a la hauteur de Fanar-Antelias, les empechant de joindre l'autoroute cotiere Dbaye -Nahr el-Mott et de couper les renforts qu'elle envoie de Jounieh vers son PC de la Quarantaine. Les Forces Libanaises ont en effet occupe la place d'Antelias et le pont, Awkar et les alentours de l'ambassade americaine.
    2-Les operations sur le terrain demontrent que tout etait planifie d'avance a l'etat-major FL pour la prise de controle, aussi bien financiere que militaire, du pays chretien. Cela explique pourquoi, au 14 fevrier 1989 comme au 31 janvier 1990, les Forces Libanaises etaient bien mieux preparees au combat en zones residentielles chretiennes que l'armee libanaise.
    3-Le general Aoun donne un avant-gout de ses contradictions. Apres avoir ordonne a son armee, le 15 fevrier 1989, d'encercler Ain el-Remmaneh, bastion FL, et bien qu'il domine le terrain grace a une percee dans la region de Sinn el-Fil, le general stoppe l'offensive. Crainte d'une bataille qui tournerait a un carnage de civils? Indecision face au risque d'un affaiblissement global du camp chretien dont les Forces Libanaises feraient les frais, mais qui rejaillirait sur lui? Toujours est-il qu'il renonce, objectif (presque) atteint.
    4-En decidant de frapper les Forces Libanaises, Aoun s'est acquis l'appui tactique du camp musulman et de la Syrie, mais il demeure et demeurera leur ennemi strategique. Sami Khatib lui a bien fait parvenir un message rassurant: "Vous pouvez degager vos troupes deployees sur le front du pays chretien, en particulier a Bickfaya-Douar, et vous en servir". Il a meme place ses brigades a sa disposition et un plan militaire conjoint a ete mis au point pour en finir avec la milice chretienne dans la nuit du 15 au 16: l'armee de Khatib attaquerait Jbeil, fief des Forces Libanaises, a partir de Madfoun au Nord, avec les unites chretiennes de la 2e et de la 7e Brigade qui viendraient faire leur jonction avec les unites de l'armee d'Aoun cantonnees a la caserne de Sarba, pres de Jounieh, et a la base aerienne d'Adma, pour ensuite, ensemble, foncer jusqu'a Nahr el-Kalb; la 10e et la 8e Brigade se chargeraient de Dbaye avant de donner l'assaut a la Quarantaine, PC des Forces Libanaises, ou elles seraient rejointes par les unites venant d'Ain el-Remmaneh et du Musee. A aucun moment cependant, la Syrie et ses allies de Beyrouth-Ouest n'envisagent de faire du general un president ou de lui remettre le pouvoir sous quelque forme que ce soit.
    Le 15 au soir, le plan tourne court. Aoun cede aux pressions locales et etrangeres. Le patriarche Sfeir menace de faire sonner le tocsin dans tous les villages. Aoun se laisse convaincre de ne pas eliminer les Forces Libanaises tant qu'il y aura des milices a Beyrouth-Ouest. Il estimera, plus tard, avoir commis la une erreur.
    Bilan de ces deux journees d'affrontements inter-chretiens: 77 morts, plus de 200 blesses.

    -Le 13 mars 1989 au soir, la tension est a son paroxysme au sein du reduit chretien. Les deux parties sont en etat d'alerte. Les sources proches d'Aoun parlent d'une tentative des Forces Libanaises de reprendre le controle du 5e bassin du Port; autour de Geagea, on declare s'attendre a une operation des commandos de l'armee libanaise contre le QG des Forces Libanaises a la Quarantaine. Soudain, Aoun change de cap.

    -Le 22 mars 1989, l'armee libanaise recoit des T-55 venus d'Irak.

    -En mars 1989, pour mieux demontrer au general qu'il ne recevra aucun appui de sa part, Washington enjoint a une equipe de six officiers americains detaches aupres de l'armee libanaise pour la logistique d'evacuer leur bureau au ministere de la Defense a Yarze et de se replier sur l'ambassade, a Awkar. Le Departement d'Etat leur intime l'ordre de ne meme pas emettre d'avis technique sur le deroulement des operations et sur la situation militaire.
    L'armee libanaise dans son ensemble etait, d'ailleurs, dans une situation critique sur le plan logistique. Sa branche aouniste elle-meme n'aurait pu batailler un jour si l'Irak, dans la foulee de son aide aux Forces Libanaises, ne l'avait egalement equipee.

    -En 1982, les USA avaient prevu un vaste plan pour reorganiser l'armee libanaise, lui fournissant le materiel, paye au comptant il est vrai, de trois brigades en vehicules, blindes et en chars. Des experts US se trouvaient sur place pour assurer la formation des officiers. C'est le cout de ce reequipement militaire qui fut a l'origine de l'effondrement de la LL, la Banque centrale etant forcee d'acheter des dollars sur le marche pour honorer ces contrats exorbitants. Le Premier ministre Rachid Karame s'etait alors oppose a la poursuite des achats de materiel pour l'armee libanaise, bloquant les fonds. A la suite de son assassinat, et a la demande de Selim Hoss, qui lui succede par interim a la tete du gouvernement, ainsi que des pays arabes du Golfe, les USA reduisent encore leur appui materiel et technique a l'armee libanaise, qu'ils avaient deja limite une premiere fois des 1984.
    La situation empire avec l'arrivee au pouvoir du general Aoun: la Banque centrale ne paie plus que les soldes des soldats et leur nourriture. Rien ou presque pour le materiel.

    -En tant que Zaim du Nord, Rene Moawad entretenait des contacts directs avec nombre de soldats et d'officiers. Il n'avait pas l'intention d'oeuvrer contre l'armee libanaise, mais de l'utiliser.
    Lorsqu'il recut une fin de non-recevoir de la part du general Aoun pour participer a son Cabinet, il se mit a preparer le demantelement de l'armee d'Aoun de l'interieur, grace a ses liens avec de nombreux officiers. D'ailleurs, beaucoup de ceux-ci, durant les 17 jours de son mandat, ont quitte l'armee aouniste pour se rallier a la legalite.

    -Le 28 novembre 1989 au soir, une maree humaine deferle sur le palais de Baabda. Ils sont des milliers a vouloir faire au general Aoun un rempart de leurs corps. Geagea est contraint d'annoncer que les Forces Libanaises seront aux cotes de l'armee libanaise en cas d'attaque.

    -Le 31 janvier 1990, l'irreparable se produit. Le pays chretien est precipite dans les affres d'une guerre sans merci. D'emblee, la milice s'avere un redoutable adversaire pour l'armee libanaise. Depuis le 14 fevrier 1989 et tout au long de la Guerre de Liberation, elle a eu le temps d'elaborer une strategie et, de longue date, elle dispose dans l'armee aouniste de plusieurs officiers acquis a sa cause ou achetes. En cedant, a la mi-janvier, quelques positions, notamment le Casino du Liban a Jounieh, les Forces Libanaises ont ancre chez le general et dans son entourage l'illusion que l'armee libanaise est de loin la plus forte. Aoun et son etat-major croient pouvoir en finir avec la milice en 24h. Leur etonnement devant la resistance qui va leur etre opposee n'en sera que plus grand. Une fois de plus, le Deuxieme Bureau a mal calcule. Et le conflit s'eternisera entre une armee de plus en plus milicienne et une milice de plus en plus militaire.
    Quand les deux parties commencent a s'essouffler -l'armee d'Aoun par manque de munitions et les Forces Libanaises d'effectifs- les mediateurs entrent en lice.

    -Les zones residentielles sont le theatre de combats feroces. Mitrailleuses, RPG, 12.7 mm, mortiers, canons de campagne: tout l'arsenal accumule depuis des annees de part et d'autre, toute la science et l'experience militaires acquises en 15 annees de guerre sont deployes entre Achrafieh et Jounieh, en passant par Sinn el-Fil, Dbayeh, Fanar, le Metn, le Kesrouane. Avec cette haine, cet acharnement propres aux luttes fratricides. En quelques jours, les plus beaux quartiers, les plus pittoresques villages, comme Kleiate, sont devastes, transformes en passage lunaire.
    Fanar tombe aux mains de l'armee libanaise, puis Dbayeh les 3 et 4 fevrier 1990, apres d'apres offensives et contre-offensives. Malgre ces succes, des connaisseurs en la matiere ayant assiste a la bataille de Dbayeh et a la retraite tactique operee tout en continuant le combat par les miliciens vers le Kesrouane face a l'avance des blindes decelent deja chez les Forces Libanaises les capacites militaires qui vont leur permettre de tenir.
    Depuis quelques temps, la discipline dans les rangs de la troupe s'etait relachee. Mefiant de nature, Aoun preferait court-circuiter la hierarchie et communiquer directement avec les jeunes officiers. Doubles, les generaux devenaient brouillons et inefficaces.
    Les 14-15 et 16 fevrier 1990, c'est l'operation Saint-Elie: l'assaut est donne a Ain el-Remmaneh, populeux bastion FL qu'il faudra ratisser ruelle apres ruelle pour en deloger les miliciens commandes par Zorro. Certains se rendront, d'autres se refugieront a Beyrouth-Ouest et seront reconduits par les syriens vers la region du Port d'ou ils pourront rejoindre le PC de leur milice a la Quarantaine, et etre ainsi reinjectes dans la bataille.
    Si l'armee libanaise s'est assure le controle de tout le Metn, Sud et Nord, elle a, parallelement, subi des revers serieux. Jbeil, la base navale de Kaslik et surtout la caserne de Sarba, ou se trouve l'essentiel des reserves et des munitions de gros calibre, sont tombes des les premiers jours comme un chateau de cartes. L'erreur fatale de Aoun a ete de confier cette base a un officier de la famille Rahmeh, originaire de Becharreh, village natal de Geagea. Sarba sera pour les Forces Libanaises un cadeau inespere: elles n'avaient jusque-la que 10 canons de 155 mm. La prise de la caserne changera le cours de la guerre.
    Mais surtout, l'armee aouniste perdra la base d'Adma le 17 fevrier 1990.
    "Il me faut Adma, avait dit Geagea a Chaker Abou Sleimane et a l'abbe Naamane. La base me coupe la route Jounieh-Jbeil.
    *Ce sera un carnage, a retorque Abou Sleimane. Mieux vaut essayer de la faire evacuer et epargner des centaines de vies, car les commandos de l'armee libanaise se battront jusqu'au dernier plutot que de se rendre".
    Coupes de tout contact avec la region du Metn que controle l'armee aouniste, les soldats, en effet, resistaient farouchement depuis 10 jours avec l'energie du desespoir aux assauts repetes des troupes d'elite des Forces Libanaises, sous un deluge de fer et de feu. Leur commandant est tue -de meme que l'un des chefs de la force de frappe de la milice-, aussitot relaye par son second, Georges Nader, qui tente de remonter le moral des soldats. Le colonel Paul Maalouf, frere du brigadier-ministre Edgard Maalouf, tombe lui aussi. Il n'y a plus de pain dans les baraquements. On mange le hommos dans du papier journal.
    Cette nuit du 17 fevrier 1990, a 2h du matin, Abou Sleimane, Naamane et Mgr. Khalil Abi Nader, eveque maronite de Beyrouth, font la traversee Achrafieh-Jounieh par une mer dechainee pour superviser, en compagnie de Fouad Malek, chef d'etat-major des Forces Libanaises, et sous sa houlette, l'evacuation des 500 militaires d'Adma. Ils ont obtenu l'accord des deux parties.
    "Ce sera sous votre propre responsabilite", ont declare chacun de son cote, pour une fois d'accord, Aoun et Geagea.
    De Jounieh, le comite de mediation se dirige vers Adma. Munis de torches electriques, emmitoufles dans leurs bonnets et leurs foulards, sous une pluie battante, les trois mediateurs traversent a pied les 6 Km de no man's land qui separent les positions FL de la base ou sont retranches les commandos de l'armee libanaise. Il faut faire attention, les routes sont minees. Chaque pas est mesure. 4h durant, les trois hommes sillonnent la base de long en large pour parler aux militaires et les convaincre qu'ils peuvent sortir sans crainte.
    Il y a 4 tues dans les rangs des commandos et 8 blesses.
    Les admonestations ont fait leur effet. Les commandos sortent avec leurs armes et leurs vehicules blindes. Les officiers FL saluent l'adversaire. Le lieutenant Georges Nader et le general Fouad Malek echangent une poignee de main. Deux freres, appartenant a des bords differents, se retrouvent et se jettent dans les bras l'un de l'autre.
    Un episode noir ternit cet epilogue. Un jeune commando arme jusqu'aux dents a decide de rester dans la base pour venger son frere, mort dans la bataille. Il tuera 5 miliciens avant d'etre abattu a son tour.
    Aoun decide brusquement de passer a l'offensive. Objectif: la Quarantaine, siege du PC des Forces Libanaises. Les troupes d'elite de la 8e Brigade et les commandos progressent a Sinn el-Fil et Nabaa sous un feu nourri d'artillerie directe et occupent des positions strategiques quand l'attaque, sans motif apparent, s'arrete net.
    Dany Chamoun soutient le lendemain que les raisons de l'echec sont d'ordre militaire. Le chef du PNL, qui etait present dans la salle d'operations de l'armee libanaise, affirme que le chef d'etat-major, le general Jean Farah, etait introuvable au moment de la bataille.
    En fait, c'est un faiseau d'elements qui est a l'origine de cette semi-defaite. Certes, il y a l'absence de Farah, mais aussi le brouillage des emetteurs de l'armee libanaise par les puissants radars d'origine israelienne dont disposent les Forces Libanaises et surtout la trahison de l'officier EG, lequel, selon une source militaire, avait livre a la milice les plans de l'attaque 24h auparavant.
    Samir Geagea est devenu intraitable. Se sentant desormais militairement fort, il estime avoir detruit la machine de guerre de l'armee libanaise. Il n'en esperait pas tant.

    -Le 19 fevrier 1990, Gebrane Tueni appelle le colonel Adel Sassine, commandant la Police Militaire. Il lui demande d'assurer la traversee de Pakradouni d'Achrafieh, ou il se trouve, au palais de Baabda. Il est 20h. L'entrevue avec Aoun aura lieu deux heures plus tard.

    -Le dernier episode militaire de la guerre des chretiens: Kleiate.
    Cette fois, la responsabilite de l'offensive incombe aux Forces Libanaises. Englue, comme son vis-a-vis, dans l'impasse, Geagea espere que la bataille de Kleiate precipitera les choses sur le plan politique et forcera la main a Bkerke. Si les Forces Libanaises remportent une victoire en repoussant l'armee libanaise jusqu'a Deir Mar Roukoz, ce qui leur permettrait de dominer la route Bickfaya -Kleiate et de controler tout le Kesrouane et les hauteurs faisant face au Metn, bastion du general Aoun, celui-ci serait amene a composer. Mais l'armee libanaise contient, puis repousse l'offensive. Nous sommes a la mi-avril 1990.

    -Le noyau combattant de l'armee libanaise, les brigades du pays chretien, sont fideles au general Aoun. Il n'est peut-etre pas la solution, mais il n'y a pas de solution sans lui, surtout si vous voulez reunifier l'armee libanaise.

    -Un dimanche de la mi-mai 1990. Dans le hall du couvent Saint-Antoine, a Beyrouth, l'abbe Naamane tient un telephone dans chaque main, branche l'un sur l'Oberlie, l'autre sur la salle d'operations de l'armee libanaise. Il est 16h15 et les obus tombent dru de part et d'autre des lignes de demarcation internes. Naamane essaie de negocier un cessez-le-feu qui entrerait en vigueur a 16h30. Ses correspondants sont des irreductibles; ils se lancent des insultes en se servant du mediateur comme relais.
    "Nous ne nous arreterons que lorsque l'armee libanaise aura cesse de nous pilonner, lance le chef milicien, du nom de Raji. On va leur montrer de quel bois on se chauffe.
    *Je suis un fils de Baalbeck, je vais casser la gueule a ce fils de Becharreh", tonne de son cote un haut grade de l'armee libanaise.
    On en est tombe a ce niveau. L'abbe explose: "Si vous continuez ainsi, moi je tiens une conference de presse pour vous denoncer tous deux. Vous voulez vous etriper, faites-le dans un desert, pas au milieu des civils". Il raccroche, cramoisi. Non sans avoir obtenu le cessez-le-feu.

    -En 1990, il existe un veto US frappant le reequipement des brigades commandees par le general Emile Lahoud, comme s'ils voulaient rendre materiellement impossible toute intervention dans le reduit chretien.

    -Lorsqu'il est nomme a la tete de l'armee libanaise, le 28 novembre 1989, cinq jours apres l'election d'Elias Hraoui a la presidence, Emile Lahoud ne semble guere faire le poids face a Michel Aoun, alors au faite de sa gloire. Sa mission: reunifier une institution eclatee depuis 1976 et qui a, depuis, champignonne en plusieurs armees.
    Emile Lahoud irrite avec son inebranlable determination a vouloir reussir la reunification de son armee, a coup de panachages de brigades, de mutations et permutations, d'enrolements, de limogeages aussi.
    Lahoud prefere oeuvrer en douceur, encourageant les officiers aounistes a faire defection. Ils sont deja plusieurs a l'avoir rejoint a l'Ouest, parmi lesquels le frere du general Selim Kallas, le brigadier Nayef Kallas, et le chef d'etat-major de la 10e Brigade, le colonel Souheil Khoury.

    -Au pouvoir depuis 1988, l'armee libanaise est devenue extremement politisee. Les officiers superieurs, l'etat-major ont fait leur le credo du general Fouad Aoun dans son livre: "La solution, c'est l'armee".

    -Lorsque Aoun avait ete nomme commandant en chef (1984), Lahoud ne lui avait pas rendu visite pour le feliciter, maniere de marquer sa desapprobation.

    -Le 14 mars 1989, lorsque commence le bombardement de Beyrouth-Ouest, Lahoud est encore chef de la Chambre d'Operations du ministere de la Defense. Quelques instants avant de quitter Yarze en claquant la porte au nez d'un Michel Aoun ebahi, qui lui annoncait: "Je viens de declencher le processus de reunification du pays", il lance: "Vous etes en train de porter le coup de grace au Liban uni".

    -Decembre 1989. A peine Lahoud installe au commandement, Aoun et ses collaborateurs sont avertis par le vieux president Sleimane Frangieh que les troupes de la legalite s'appretent a penetrer en pays chretien, venant de Batroun. Sami Rihana, chef de la 7e Brigade qui commande l'acces de l'enclave chretienne vers Jbeil, est dans le coup, pret a se rallier aux unites venant du Nord et a proclamer son allegeance a la legalite.
    Pourtant, Rihana est l'homme de Frangieh et la 7e Brigade est pratiquement infeodee au clan maronite du Nord. (Le 13 octobre 1990, Robert Frangieh enjoindra aux hommes de la 7e Brigade presents dans le Haut-Metn de ne pas participer a l'attaque contre Aoun, aux cotes des syriens). Aoun revelera quelques jours plus tard, dans une conference de presse, les grandes lignes du plan, documents a l'appui, reconnaissant qu'une partie de la 7e Brigade etait prete a le trahir. Pourtant, il ne fera rien pour limoger les officiers et les soldats.

    -Lahoud n'apprecie pas beaucoup le colonel Paul Fares, un officier qui a lache Aoun pour se placer sous la banniere des Forces Libanaises. Chef d'etat-major de la 5e Brigade lorsqu'elle etait sous le commandement du colonel Khalil Kanaan, il avait assure l'interim lorsque celui-ci avait ete assassine a son domicile, a Hazmieh. Depuis 1983, il s'etait notoirement rapproche de Geagea et organisait regulierement des rencontres entre officiers des deux camps. Lorsque Michel Aoun prit la tete de l'armee, en 1984, Fares fut mute et tout poste de responsabilite lui fut retire. Il tenta alors a Sarba une mutinerie qui echoua. Aussi, lorsqu'il proclama sa neutralite dans les combats entre l'armee et les Forces Libanaises et crea son propre commandement, personne dans l'entourage de Aoun ne s'en etonna.

    -Pour court-circuiter les hauts grades qui l'entourent, et dont il n'est pas sur, Aoun dicte directement ses ordres aux capitaines et aux lieutenants, faisant fi de la hierarchie militaire. La base lui est fidele, c'est sur elle qu'il compte pour se maintenir en place.

    -Mercredi 22 aout 1990. Les regions chretiennes vivent dans la hantise d'une operation militaire libanaise ou syro-libanaise.

    -1er septembre 1990. On signale des concentrations de troupes libanaises et syriennes autour du pays chretien.

    -Dimanche 2 septembre 1990. Les rumeurs les plus alarmistes circulent dans les regions du general. Ainsi, dit-on, les hommes d'Elie Hobeika presents dans le Metn auraient recu l'ordre de se replier vers la Bekaa.

    -Le 15 janvier 1986, Hobeika est encercle avec ses hommes dans son QG de la Quarantaine et ne doit la vie sauve qu'au commandant en chef de l'armee libanaise. Il arrive sous escorte militaire, au volant de sa BMW, a Yarze ou l'attend le general Aoun. Avant de se refugier a Damas, il lui confie sa voiture, que les visiteurs de Baabda ont pu voir garee, deux ans durant, au premier sous-sol, devant les appartements de la famille Aoun; il la recuperera le 13 octobre 1990.

    -Le 27 septembre 1987, les hommes de Hobeika tentent une percee a Achrafieh, bastion des Forces Libanaises. Ce fut l'intervention de l'armee libanaise qui permit d'en eviter la chute.

    -Semaine du 15 au 22 septembre 1990. Les troupes de Lahoud se deploient a Beyrouth et en montagne, sur les lignes de front separatn le territoire aouniste du territoire legaliste. Des officiers libanais et syriens effectuent des tournees d'inspection. A Baabda, les mouvements de troupes loyalistes sont percus comme une preparation pour la mise a l'ecart des milices, en attendant leur demantelement.

    -Jeudi 27 septembre 1990. Les unites d'Emile Lahoud relevent les Forces Libanaises autour du micro-territoire aouniste, aux points de controle de Baskinta, Nahr el-Mott, Salome et Nahr el-Kalb. Releve symbolique puisque les miliciens sont encore la, un peu en retrait, et que les hommes de Paul Fares, qui etaient a leurs cotes jusqu'alors, n'ont fait que reendosser l'uniforme de l'armee libanaise. Lahoud a deploye ses soldats a 400 metres derriere les lignes FL.
    Ce 27 septembre, cinq officiers superieurs de l'armee de Aoun se sont relayes aupres de Lahoud pour lui dire qu'une grande perplexite regne dans leurs rangs, que, tout en appuyant la legalite, ils ne peuvent se desolidariser de leur chef, pour des raisons d'ordre pratique essentiellement!

    -Vendredi 28 septembre 1990. L'armee libanaise boucle les deux Metn, du moins leurs portions aounistes, soit 300 Km2 ou 500000 libanais se retrouvent encercles. Objectif proclame: forcer Aoun a ceder avant la rentree scolaire, sinon...

    -Jeudi 11 octobre 1990. Les troupes syriennes sont renforcees sur les lignes du front a l'Est et au Sud de Beyrouth.
    Convaincu que l'attaque est programmee pour vendredi matin, Aoun appelle le peuple libanais a la mobilisation et fait sonner le tocsin dans les villages.
    Baabda est survole, en fin de matinee, par des avions non identifies.

    -Vendredi 12 octobre 1990. L'armee syrienne continue d'acheminer des renforts face au fief du general Aoun. Tout au long de la journee, elle completera son deploiement sur le front de la banlieue-Sud et en montagne.
    Aoun a rassemble 3000 de ses partisans dans la cour du palais de Baabda et place ses troupes en etat d'alerte, prets a mourir dans l'honneur.
    Tard dans la nuit, des collaborateurs du general lui communiquent au telephone des nouvelles alarmantes: des responsables du secteur legaliste (Beyrouth-Ouest) ont averti certains de leurs amis aounistes que l'operation est prevue pour le lendemain matin. A minuit, le colonel Amer Chehab, chef du Deuxieme Bureau, se presente, accompagne du directeur de la Surete Generale Nadim Lteif, au palais. Il vient annoncer que l'assaut est pour samedi, fournissant meme la liste des officiers syriens qui la meneront et ajoute que l'aviation pourrait entrer en action.
    Aucune disposition particuliere n'est prise ce soir-la. Mieux: trois tracteurs de l'armee libanaise entament le deblaiement de la route de Choueifate. L'ouverture sur le Chouf est en bonne voie.

    -A la veille du 13 octobre 1990, en cette nuit qui precede la chute, les brigades aounistes sont deployees comme suit:
    *La responsabilite du front allant de Bickfaya-Douar a Choueifate en passant par Souk el-Gharb incombe a la brigade de renfort du colonel Khazen el-Khazen, avec, a ses cotes, des elements du bataillon de transmission, la fanfare de l'armee et les cadets de l'Ecole Militaire. Ces unites sont epaulees par des compagnies de la 10e Brigade, reparties sur l'ensemble du front (la FEBA) et placees sous commandement unifie.
    *De Choueifate au Port de Beyrouth, la 9e Brigade est en charge, secondee elle aussi par des elements de la 10e et de la Police Militaire.
    *La 5e Brigade du colonel Chamel Mouzaya tient le front interne de Kleiate, face aux Forces Libanaises.
    *La 8e Brigade du general Selim Kallas est en reserve, elle stationne essentiellement a Dbayeh, sur le littoral du Metn.
    *Les commandos sont repartis dans le Metn et quelques elements sont sur le front de Douar.

    -Samedi 13 octobre 1990.

    6h54. Dans l'aube incertaine, bruits de reacteurs au-dessus du pays chretien abruti de sommeil apres une nuit de violence. Reacteurs d'avions de combat.
    Les syriens!
    Des chasseurs-bombardiers. Un raid aerien!
    Les habitants des deux Metn n'ont pas encore realise ce qui se passe que les bombes fusent des avions sur le perimetre du palais de Baabda. Aux premieres loges, ceux qui resident a Monteverde, Beit-Mery, Ain-Saadeh assistent au ballet sinistre des Sukhoi.

    Baabda. Le general Aoun a ete reveille en sursaut a 6h45. "Diable! Qu'est-ce?". Il saute au bas du lit, enfile sa tenue kaki, les yeux encore bouffis -il a dormi a 5h30-, les traits froisses, la meche en bataille.
    Son aide de camp lui tend le telephone. Un officier de l'unite de surveillance est en ligne. "Mon general, il y a une tres grande activite radio chez les syriens. Nous avons capte des ordres pour une attaque et, sur le terrain, il y a une nette progression de leur infanterie vers la ligne de front. Des civils a Beit-Mery entrent en contact avec nous pour signaler des mouvements de troupes suspects".
    En fait, il est deja trop tard. Les fantassins syriens sont montes a l'assaut avant meme l'entree en action de l'artillerie. Les Forces Speciales syriennes investissent Deir el-Kalaa, a Beit-Mery, position strategique car elle domine le palais de Baabda et donne directement sur les monts de Souk el-Gharb.
    A peine ont-elles pris pied dans le sanctuaire aouniste que les Sukhoi a leur tour piquent sur Baabda.
    "Michel, crie Aoun au colonel Abou Rizk, commandant de la Garde Presidentielle, que se passe-t-il?
    *Mon general, les avions syriens bombardent le palais".
    Les Sukhoi se lancent a l'attaque, lachant des leurres thermiques en meme temps qu'ils larguent leurs bombes. Ils virent vers la mer et repassent au-dessus de Baabda, Yarze, Fayadieh et Monteverde, deversant leur chargement au juge. La DCA du palais entre en action.
    Le raid va durer une trentaine de minutes, au bout desquelles l'artillerie syrienne de tous calibres entre en jeu.

    7h. Le general de brigade Selim Kallas vient de plonger au bas de son lit. "Des avions syriens!" constate-t-il. De son domicile a Hazmieh, au 4e etage, a quelques centaines de metres a vol d'oiseau du palais de Baabda, il peut voir les Sukhoi. Les obus tombent dru alentour.
    Sonnerie du telephone. Aoun est en ligne.
    "Selim, que se passe-t-il?
    *Comment que se passe-t-il? L'aviation syrienne bombarde Baabda et Yarze. Ils sont au-dessus de votre tete.
    *Selim, que comptes-tu faire?
    *Ils ont decide d'entrer, ils entreront. Mieux vaut eviter l'effusion de sang. Pour ma part, je vais ordonner a mes hommes de se regrouper dans leurs casernes, a Dbayeh et Antelias".
    Kallas vient a peine de poser le combine qu'un premier obus devaste la chambre a coucher de ses enfants. Heureusement qu'il les a envoyes avec leur mere aux Etats-Unis. Il a juste le temps d'enfiler un pantalon et de s'ejecter de sa chambre qu'un deuxieme obus creve le mur exterieur de la piece ou il se trouvait.
    Puis un troisieme. Pas de doute: la maison est visee.
    Dans les escaliers, l'effervescence est a son comble. Voisins et soldats descendent en catastrophe vers les etages inferieurs.

    7h07. Autour de l'ambassade francaise, a Mar Takla, les coups pleuvent. Toute la region de Baabda, Yarze, Fayadieh, Hazmieh est arrosee.
    Les murs, les vitres, le sol vibrent sans interruption.

    8h13. Escorte du colonel Michel Lahoud, des capitaines Nicolas Aramouni et Habib Fares, du lieutenant Samir Abou Eid ainsi que de deux soldats, Aoun emprunte l'un des souterrains du palais. Il s'engouffre avec son escorte dans deux VTT de type M-113. Il a laisse sa femme et ses filles dans l'un des abris, convaincu que c'est une affaire de quelques minutes, quelques heures au maximum et qu'apres avoir negocie la treve, il sera de retour.

    8h30. Aoun entre en contact avec le general Jean Farah, chef d'etat-major. "Ne soyez pas surpris, pas de panique. Je vais lancer un appel a un cessez-le-feu, lui annonce-t-il. C'est aupres de Lahoud que vous devez desormais prendre vos ordres".

    8h45. Les deux officiers-ministres, Edgar Maalouf et Issam Abou Jamra, rejoignent Aoun a l'ambassade francaise, avec deux autres officiers, parmi les plus proches: le colonel Adel Sassine et le capitaine Antoine Abou Samra.

    9h, Le general Aoun decide de rappeler l'etat-major. Il confirme a Farah son appel et l'ordre de ralliement a Lahoud. A plusieurs autres officiers, il dispense des ordres tres fermes. Pendant de longues minutes, il crie en arabe ses injonctions pour mettre un terme aux combats. Puis il raccroche.

    Sangle dans son uniforme cachant un gilet pare-balles, le general Emile Lahoud progresse avec ses hommes sur l'axe Kfarchima-Hadeth-Galerie Semaan. Le plan prevoyait qu'il foncerait vers Baabda par la banlieue-Sud de Beyrouth, muni de haut-parleurs destines a rassurer la population et a appeler les militaires d'en face a se joindre a l'armee legale. Ensuite, il continuerait vers le ministere de la Defense nationale a Yarze. C'est donc lui qui devrait se trouver en premiere ligne, ou a tout le moins arriver le premier a Baabda et a Yarze. Les troupes syriennes n'etaient pas censees effectuer de percee, encore moins s'aventurer dans le perimetre de la presidence de la Republique et du ministere de la Defense.
    Les syriens avaient promis qu'ils ne descendraient d'Aley, ou le gros de leurs effectifs etait concentre, pour faire jonction avec lui qu'en cas de difficulte.
    Or, ce qui se produisait a l'instant, c'est que les troupes aounites offraient aux syriens un pretexte pour aller de l'avant: elles opposaient, malgre l'appel de leur chef a cesser les hostilites, une resistance opiniatre, dans le Haut-Metn et encore plus a Souk el-Gharb. Lahoud est perplexe.

    9h30. Un des lieutenants de la 8e Brigade appelle le general Kallas sur son Motorolla. Il est tout emu: "Le general Aoun est refugie a l'ambassade de France. Il a ordonne qu'on se rallie a Lahoud".
    Kallas n'a pas entendu l'appel.
    "Ce n'est pas possible, Georges. Le general est au palais.
    *Non, mon general. Verifiez".
    Kallas compose le numero de Baabda. Le colonel Abou Rizk repond.
    "Michel, passez-moi le general.
    *Impossible, il est occupe.
    *C'est a moi que vous dites cela? Je veux lui parler, vous dis-je.
    *C'est que... il n'est pas la. Il est a l'ambassade de France".
    Kallas raccroche et appelle la chancellerie pour demander a parler a Aoun. On lui repond que c'est impossible, que le general ne peut recevoir de communications telephoniques.
    "Ecoutez, insiste Kallas a l'intention de la voix anonyme, je suis le commandant de la 8e Brigade et je vous dis que je dois lui parler. Je dois entendre sa voix, il faut qu'il me reponde".
    Hesitation perceptible a l'autre bout du fil. Quelques secondes plus tard, Aoun est en ligne.
    "Mon general, est-il vrai que vous avez donne l'ordre de ralliement a Lahoud? demande Kallas.
    *Oui, c'est exact, repond Aoun d'une voix neutre.
    *Je veux que vous me repetiez ce que vous avez dit a la radio, que je l'entende de mes propres oreilles. Je veux recevoir l'ordre de vous, directement".
    Alors Aoun: "Selim, je vous ordonne de recevoir desormais vos ordres du general Lahoud.
    *C'est donc bien vrai? Tout est fini?
    *Nous n'y pouvons rien. Nous sommes face a une volonte internationale.
    Kallas ne peut que murmurer: "C'est bon, mon general", avant de raccrocher et de lancer aussitot aux soldats de sa brigade l'appel suivant:
    "L'armee syrienne qui avance est une armee amie. L'armee du general Lahoud est notre armee. Je demande qu'aucun coup de feu ne soit tire. Vous allez quitter les principaux axes routiers et vous regrouper dans vos casernes. Vous etes uniquement autorises a vous defendre. Si on approche de vous, feu a volonte. Sinon, rien".
    Il y a des protestataires, des jusqu'au-boutistes: "Nous allons nous battre, empecher les syriens de rentrer".
    Le commandant de la 8e donne de la voix: "Vous n'allez rien faire du tout. Le general Aoun est refugie a l'ambassade de France. C'est fini".
    Maintenant, il faut appeler le general Lahoud. Ce n'est pas commode. Lahoud est quelque part sur le front. Enfin, sa voix gresille dans l'ecouteur: "Oui, Selim?
    *Mon general, je me rallie a vous avec ma brigade. Qu'attendez-vous de moi?
    *Rien, Selim. Gardez vos quartiers. Merci.
    *Une chose encore. Je demande que l'honneur de mes hommes soit preserve. Nous n'accepterons aucune atteinte a notre dignite.
    *Votre honneur, general, est le mien", retorque simplement Lahoud.

    A l'etat-major aouniste, c'est la confusion. Le general Jean Farah, qui en est le chef, ne donnera l'ordre de cesser le feu, en depit des injonctions du general, qu'a 12h30. C'est seulement a cette heure-la qu'une source militaire a Yarze annonce la fin des combats. En attendant, les hommes ont toujours pour mission de resister. Heureusement, le gros de la troupe -la 5e, la 8e, la 9e Brigade et la majorite des commandos- se sont conformes directement a l'appel de Aoun. Dans l'intervalle, et avant d'ordonner le cessez-le-feu, Farah tentera de les relancer.
    "Qu'attendez-vous? gronde-t-il a l'adresse des officiers de l'etat-major de la 8e. L'ennemi progresse sur tous les axes. Il faut se battre. Donnez vos ordres.
    *General, nous recevons dorenavent nos ordres du commandant en chef, le general Lahoud".
    Farah se heurtera au meme refus de la part des etats-majors des trois autres brigades precitees. Mais de petites unites (principalement de la 10e Brigade) eparses sur le front face aux syriens ne sont pas au courant de ce qui s'est passe. Elles vont payer le tribut du sang. Coupees de tout, n'ayant ni entendu le message de Aoun, ni recu d'ordre pour arreter le combat, les elements de la 10e, la brigade heliportee, se battent ferocement. Une compagnie tente une contre-attaque sur Deir el-Qalaa, a Beit-Mery, et parvient a repousser les syriens. A Douar, sur le front de Bickfaya, les commandos opposent une resistance farouche et inattendue a la progression des blindes. Sur la colline du Prince, a Souk el-Gharb, les cadets de l'Ecole Militaire, assistes des soldats de la 10e, donnent du fil a retordre aux assaillants.
    Le drame va se jouer a Dahr el-Wahch, a mi-chemin entre Khalde et Aley, ou une compagnie d'irreductibles de la 10e, la 102e, a decide de se battre jusqu'au bout. La colonne syrienne qui s'ebranle d'Aley avance sans encombre et parvient a portee de voix des soldats libanais qui avaient brandi des drapeaux blancs pour dissiper toute mefiance. Encourages, les syriens s'approchent. Ils sont accompagnes de soldats libanais de la 6e Brigade (chiite), dont l'un, un megaphone a la main, fait quelques pas en avant et crie aux militaires retranches: "Freres, nous sommes une seule et meme armee. Nous ne voulons pas nous battre contre vous. Rendez-vous".
    Un lieutenant de la 102e se dresse et repond: "Freres, si vous etiez venus seuls, nous ne nous serions pas battus. Mais il n'est pas question de nous rendre aux syriens".
    A peine a-t-il prononce ces mots que ses hommes ouvrent un feu nourri sur les soldats postes en face, a decouvert, qui sont cueillis par des salves de canon et des rafales de RPG. Les officiers syriens ne peuvent plus retenir leurs hommes dont plusieurs, en essayant de progresser tout droit, sautent sur les mines de la ligne de defense. Ils contournent alors Dahr el-Wahch par le village de Bsous ou ils se defoulent sur les habitants. Bilan: 15 morts, dont la majorite sont des membres de la famille Sayyah.
    Les syriens finissent par avoir raison de la resistance des militaires libanais a Dahr el-Wahch. Commencent alors les executions sommaires sur les contreforts de Souk el-Gharb. La 102e est decimee. Il n'y aura qu'un survivant, qui reussit a s'echapper. L'hopital gouvernemental de Baabda recevra a lui seul 80 corps de soldats dont un grand nombre ayant les mains liees derriere le dos, la tete et la poitrine criblees de balles.
    La bataille de Dahr el-Wahch aura aussi coute la vie a plus de 100 soldats syriens.

    Lahoud est atterre. Les evenements ont pris une tournure tragique. Sous un feu roulant et une couverture d'artillerie tous azimuts, l'armee syrienne a entame son deploiement dans les regions Est. Le sursaut des aounistes lui a fourni un pretexte pour devaler la route, vers Baabda et Yarze. Le commandant en chef en veut tout particulierement au general Jean Farah. Des que les syriens se sont heurtes a des poches de resistance, Lahoud etait entre en contact avec le chef de l'etat-major de Aoun:
    "Jean, nous ne voulons pas de bataille. C'etait convenu. Donnez l'ordre d'arreter le feu.
    *General, les communications sont coupees et je ne peux envoyer aucun ordre, avait repondu Farah.
    *Mais vos CB?
    *Ils ne fonctionnent pas".

    Les Forces Libanaises mettent a profit le deluge de fer et de feu qui s'abat sur le reduit aouniste pour pilonner de leur cote les positions de l'armee de Aoun sur le littoral ainsi que la zone des combats, dans le Metn-Nord et Hazmieh, ou se trouvent les maisons des officiers qu'elles ont dans leur mire depuis longtemps. Elles n'hesitent pas non plus a prendre pour cible l'ambassade de France dont le general Aoun est desormais l'hote. L'obus qui a souffle le salon de la residence de l'ambassadeur venait, semble-t-il, des canons de la milice.
    Mais Lahoud est vigilant. Il n'est pas question de laisser les Forces Libanaises profiter de la situation pour s'assurer des acquis militaires. Il intime aux unites aounistes dans le Metn l'ordre de conserver leurs positions. Dans les communiques emanant du ministere de la Defense, le commandant en chef a d'ores et deja pris le relais de son predecesseur dans ses rapports avec la formation de Samir Geagea. "Nos positions dans le Metn sont la cible de bombardements", souligne l'un de ces communiques, qui met en garde "les elements perturbateurs contre une riposte de l'armee libanaise".

    9h30. Les premieres unites des Forces Speciales syriennes du general Ali Dib parviennent aux abords de Baabda, guidees par le colonel Issam Attoui, commandant la 6e Brigade de l'armee libanaise. Les syriens penetrent dans le palais 1h plus tard et campent dans la cour de ce qui fut la "Maison du Peuple". Ignorant la progression de l'infanterie syrienne, les Forces Libanaises continuent de tirer sur Baabda au canon de 130 mm, faisant une vingtaine de tues dans les rangs syriens. Il faudra qu'un capitaine des Forces Speciales entre en contact avec elles pour que la milice cesse ses tirs.
    Ali Dib fait son entree dans l'enceinte du palais peu apres. C'est lui que les reporters de Paris Match ont croise dans les couloirs et qu'ils ont pris pour Lahoud: ce dernier n'a debarque sur les lieux que 6h plus tard.
    Dib est satisfait. L'avance de ses troupes a ete rapide, surtout sur la route de Damas, puis celle des blindes en direction du palais, notamment au niveau de Choueifate et de la Galerie Semaan. Il y a bien eu des bavures, surtout a Deir el-Qalaa, lorsque l'artillerie syrienne a pilonne une position prise par les fantassins. Mais dans l'ensemble, l'operation s'est bien deroulee.
    Ali Dib est curieux de voir l'impact de l'utilisation de l'aviation. Il fait le tour des lieux bombardes par les Sukhoi: Baabda, Fayadieh, Yarze, Jamhour. Outre la palais et des batiments militaires, les pilotes ont largue leurs obus sur deux colleges, ceux des peres antonins, qu'ils ont pris pour le ministere de la Defense, et des peres jesuites, a Jamhour, fleuron depuis des annees de la presence culturelle francaise au Liban. Salles de classe soufflees, trous beants dans la facade de cet etablissement de plusieurs hectares, cypres scies, troncs calcines, crateres de 3 metres de diametre dans la cour. 600000 a 1 million de dollars de degats.

    11h. Precedes du colonel libanais Attoui, les syriens investissent le ministere de la Defense. Ils mettent aussitot la main sur les officiers superieurs libanais qui les interessent. Convoques a une reunion, le chef des Services de Renseignements, le colonel Amer Chehab, son adjoint Karam Moussawbah, les lieutenants-colonels Fayez Karam, Fouad Achkar (l'un des principaux messagers du general Aoun aupres de plusieurs Etat et SR etrangers), Toufic Doumit et Saleh Mansour, les brigadiers Fouad Aoun et Louis Khoury, l'un des aides de camp de general, sont arretes au fur et a mesure qu'ils entrent dans la grande piece ou les syriens les attendent. Ils se retrouvent, deux heures plus tard, a Anjar avant d'etre transferes a la prison de Mazze a Damas. Deux autres officiers les y rejoindront: le colonel Mouzaya, commandant de la 5e Brigade, et le general Hakmeh, commandant de la 10e. L'un, puis l'autre, ont ete invites a prendre le cafe a Chtaura avec des officiers syriens, avant d'etre embarques pour Mazze. Prudent, le general Kallas, convie a la meme tasse de cafe, a Monteverde cette fois, avec les generaux Said Bayrakdar et Ghazi Kanaan et le general libanais Ibrahim Chahine, declinera poliment l'offre. Les officiers arretes seront relaches le 10 mars 1991.

    Le general Ali Dib est retourne au palais. C'est deja le debut de l'apres-midi. Les soldats syriens s'affairent dans les couloirs, fouillent dans les papiers. D'autres mordent dans leurs sandwish ou se preparent du cafe sur des braseros alimentes par des posters du general vaincu.

    Dans les sous-sols regne une grande effervescence. Des soldats syriens entourent un groupe d'officiers libanais qu'ils bousculent. Parmi eux se dresse, dominant tout le monde de sa stature, le colonel Michel Abou Rizk, commandant de la Garde Presidentielle. Mince, tete ronde et joviale, agrementee de lunettes, cet officier a l'allure degingandee, d'une probite, d'une fidelite et d'un courage exemplaires a garde son sang-froid au plus fort du raid aerien, puis lorsque l'avant-garde syrienne a penetre dans le palais. Grace a lui, la porte de l'abri ou se trouvaient Nadia Aoun et ses filles est demeuree infranchissable. C'est lui aussi qui a defendu les jeunes recrues feminines du bureau d'information du general Arsouni. Lui, enfin, qui a empeche les syriens de s'en prendre aux gardes et aux soldats demeures au palais. Traite avec courtoisie par le general Dib, il sera remis avec ses soldats au general Lahoud, avec tous les egards.

    C'est seulement tard dans l'apres-midi que les tirs cessent pour de bon. Les dernieres poches de resistance aounistes ont ete reduites. Officiellement, les combats ont fait 200 tues, militaires et civils, et plus de 700 blesses. En fait, le bilan est bien plus lourd: on parle, dans les seuls rangs syriens, de 600 a 800 morts et blesses.
    L'operation militaire a ete menee par plus de 10000 hommes, dont 6000 syriens.

    Lorsque le general Lahoud arrive a Baabda, Yarze et Fayadieh, l'armee syrienne a deja emporte tous les documents et dossiers qui l'interessent. Les donnees de l'ordinateur geant de Fayadieh, des renseignements de la plus haute importance, ultra-confidentiels, sont achemines vers Damas. L'erreur est celle des preposes a ces documents qui ne les ont pas detruits des les premiers instants de l'attaque.

    L'armee pourra-t-elle, non en prenant le pouvoir, mais en servant d'appui au gouvernement civil, jouer le role de rempart de la souverainete nationale? C'est, en tout cas, l'objectif que s'est assigne son nouveau commandant, le general Emile Lahoud, qui cherche avec determination a lui donner un deuxieme souffle. Tache ardue, dont la pierre angulaire dans la conception de ce dernier est le panachage des brigades: la 5e, la 8e, la 9e, la 10e n'existent plus, du moins dans leur composition au temps de Aoun, lorsqu'elles etaient devenues les brigades chretiennes. La plupart des officiers ont ete mutes, la quasi-totalite des aounistes ayant d'ailleurs ete recuperee, et les unites sont devenues mixtes, c'est-a-dire multicommunautaires. Neanmoins, le reequilibrage de l'armee libanaise s'annonce tres difficile en raison du deficit considerable de recrues appartenant aux communautes chretiennes.
    Depuis sa reunification, l'armee libanaise s'est acquittee de deux missions cruciales: l'une, la suppression des milices, n'a pas pose de problemes, contrairement a ce que l'on aurait pu craindre; l'autre, la mise au pas des Fedayin palestiniens au Sud du Liban, a necessite de serieux combats, contrairement a ce que l'on avait pu esperer compte tenu de l'affaiblissement des palestiniens. L'armee libanaise a reussi a s'imposer, consacrant a cette occasion sa cohesion retrouvee. Ce succes n'a pas que des connotations internes. Il prefigure le role qui sera devolu a l'armee, en cas de paix regionale, pour reduire d'eventuels refusards, palestiniens ou autres.


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  • Armement en dotation dans l'armee libanaise

     
    Equipement des forces terrestres libanaises       
    Chars    T-54/T-55, M-48 A1/A5    200 + 110       
    Véhicules de Trasport de Troupes    M-113A1/A2, VAB VCI    1100 + 80       
    Chars Légers    AMX-13    40       
    Véhicules légers de reconnaissance    AML 90    60    
    L'armée a également une variété d'équipement d'artillerie et de systèmes de missiles sol-sol.
     
    Artillerie / Missiles / des forces terrestres libanaises       
    Artillerie remorquée    M101 howitzer(105 mm), D-30 (122 mm), 122-mm howitzer M1938 (M-30)(122 mm), M-46 (130 mm), M114 155 mm howitzer
    A1 (155 mm), M-198(155mm), Model 50 (155 mm)    147       
    Défenses antiaériennes    M42 Duster, ZU-23 (23 mm), SA-7A/SA-7B Grail    30+       
    Missiles Anti-char Guidés    ENTAC, MILAN, BGM-71 TOW    70       
    Systèmes d'artillerie lance-roquettes    BM-21, BM-11    30       
    Véhicules    Land Rover Defender 90, M151 MUTT jeep, CUCV, HMMWV 'Humvee', AIL M-325 Commandcar, M35A3    3100+       
    Arme standard d'infanterie    M16,CAR-15, AKMS           
    Armes d'Infanterie    M40 (fusil), RPG-7, M72 LAW, M65 Rocketlauncher, M40 recoilless rifle, Diverses Mortiers        


    Bâtiments des forces navales:

    Bateaux de support de Combat Construction britanniques 27

    EDIC EDIC (Engins de Débarquement d'Infanterie et de Chars), Damour et Tyr, offerts par la France 2

    Patrouilleurs TRACKER-Class, ATTACKER-Class 5+2

    Craft Boats patrouilleur de 36m avec des capacités de navigation en haute mer 2

    Hélicoptères de l'armée de l'air:

    UH-1H Huey Transport de troupes / Forces Spéciales / Surveillance des frontières / Search & Rescue 23

    R44 Raven II Formation des pilotes / Surveillance / Transport VIP 4

    Bell AB212 Transport de troupes / Search & Rescue 4

    Gazelles Hélicoptères d'attaque / Appui de troupes 9


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